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Courts propos improvisés et quotidiens,

A propos de tout et de rien.

Improvisations (le podcast‪)‬ Aldor

    • Society & Culture

Courts propos improvisés et quotidiens,

A propos de tout et de rien.

    Les gens

    Les gens

    On parle beaucoup des gens, ces derniers jours, de la façon dont les gens pensent, votent, réagissent, de ce qu’ils aiment et qu’ils n’aiment pas, de ce qu’ils se disent, vont probablement faire, peut-être refuser, de leurs motivations, de leurs passions, de ce qui les anime, de leur comportement, attirances, réserves ou détestations vis-à-vis des partis et des programmes.







    Ils ne sont pas tout à fait nous, ces gens, mais pas non plus tout à fait des étrangers. On les sent bien, on croit les sentir bien ; c’est pourquoi on en parle avec une telle faconde, une telle facilité, une telle sûreté, une telle assurance : pour nous-mêmes (qu’est-ce qui nous fait agir comme ceci ou cela, au bout du compte ?), nous ne savons pas trop, mais pour les gens, nous savons, nous connaissons précisément leurs obsessions, leurs peurs, leurs envies, les rouages intimes de leur psyché : nous en savons plus sur eux que sur nous-mêmes.







    C’est que les gens sont des autres nous-mêmes, des nous-mêmes qui n’auraient pas atteint l’état de sagesse, d’équanimité, de distanciation, de rigueur intellectuelle que nous ont permis d’atteindre nos études, notre expérience, notre culture, voire notre relative aisance matérielle.







    Il y a, bien évidemment, de la condescendance et du dédain dans l’emploi de cette expression, aujourd’hui comme au temps des gilets jaunes ; mais il n’y a pas que cela. “Les gens”, cela fait penser aussi (penser seulement, je ne dis pas que ce soit la même  chose) à ce diable dont on prétend parfois se faire l’avocat alors que ses paroles, que ses critiques, que ses arguments n’ont rien de satanique, rien qui soit l’œuvre du Malin mais qu’ils reflètent seulement nos propres appréhensions, nos propres réserves, celles que nous n’osons publiquement formuler en notre propre nom.







    Il y a, dans “les gens”, une part de nous-mêmes qui se dévoile : la part rétive à notre auto-contrôle, à notre autocensure, à notre conception de ce qu’il est convenable de penser, dire et faire ; une part que nous rejetons, avec laquelle nous refusons d’être confondus, une part avec laquelle il serait faux et malhonnête de nous confondre mais qui est tout de même, indiscutablement, une part de nous-mêmes, cette part qui fait peuple et dont nous ne saurions complètement nous abstraire car nous nous en sentons, peu ou prou, comptable et partie prenante, aussi profond et essentiel soit notre désaccord – et Ô combien peut-il l’être ! Car de l’Autre, de l’Autre vraiment autre, de l’Autre avec lequel nous ne partageons rien, nous ne disons jamais, il ne nous viendrait jamais à l’esprit de dire “Les gens”.







    Les gens, ce sont les autres qui sont un peu nous-mêmes, avec lesquels nous formons masse. Un peu le contraire de ces gens-là.















    La photographie montre une boutique foraine, sur les Champs-Elysées, à Paris, en janvier 2024.

    Parler d’amour

    Parler d’amour

    Ce qui, dans le pessimisme, la lassitude, l’inquiétude qu’on pourrait, par instants, ressentir à l’égard de nous-mêmes – je veux dire : à l’égard de nous autres, êtres humains ; ce qui, dans ce pessimisme et cette lassitude pas tout à fait infondées, pourrait cependant nous permettre d’espérer, de ne pas perdre, au moins, totalement espoir en nous-mêmes, ce sont les mots, les phrases, les propos volés aux conversations croisées dans la rue ou aux terrasses, ces confidences qui ne nous étaient pas destinées mais qui, par le hasard du déplacement des sons, finissent aussi dans nos oreilles. Car s’il y a bien une chose, une chose obsessionnelle et universelle dont, tous autant que nous sommes, nous parlons et bavardons sans cesse, où que nous soyons, à toute heure du jour et de la nuit, c’est d’amour : de nos histoires d’amour, de nos espoirs d’amour, de nos malheurs d’amour.







    C’est de cela, de cela essentiellement, de cela le plus souvent que parlent celles et ceux qu’on croise et qui bavardent, comme parlent également d’amour les messages qu’envoient et que reçoivent celles et ceux qui, seuls, tapotant sur l’écran de leur téléphone, ne parlent pas mais discutent,  discutent avec qui n’est pas là. Eux aussi parlent d’amour, muettement mais avec passion.







    Parlez moi d’amour, clament aussi tous ceux qui, ne disant rien, se pavanent sur les boulevards, les places, les espaces publics, comme toutes celles et ceux qui, hier, avec moi, sur les quais de la Seine, montraient leurs muscles, leurs talents, leur joie, leur tristesse, leur bonne mine, et surtout leur désir, leur désir immense et irrépressible d’être là, d’être là miroitant dans la foule aux mille yeux, d’être là et de se frotter aux regards, à la présence, à la reconnaissance si attendue, si absolument nécessaire de leurs semblables.







    Ce qu’on perçoit dans les conversations et les visages, les sourires et les larmes, les yeux levés au ciel et les dénégations, les attitudes et les façons dont les doigts, les mains, les bras, les corps se lient et se délient, ce n’est pas un chemin tranquille ; c’est un paysage semé de pièges, qui requiert, requiert toujours et sans répit, une attention sans faille. Mais quoi qu’on puisse en dire, et malgré les dévastations qui parfois en résultent, c’est cette voie qui nous attire. Ce n’est pas l’assurance que nous voulons, même si c’est elle, parfois, qui nous tente, c’est la confiance, la confiance qui est qui est l’absolu contraire de l’assurance, car placée en l’autre et non pas en nous-mêmes.







    C’est pour ne pas comprendre cette distinction que le désir d’amour, ce désir universel, simple et touchant dans sa simplicité, se mue parfois en viol et en domination, en peur et en violence, en haine et en détestation ; l’élan initial de joie se recroqueville en son contraire, en quelque chose de sombre et d’effrayant, de brutal et de sourd.







    “Parlez moi d’amour, et j’vous fous mon poing sur la gueule”.























    La photo a été prise ce dimanche 9 juin, sous le pont d’Iéna, à Paris.

    Frida dans la ville-monde

    Frida dans la ville-monde

    Elle avait ses grands et épais sourcils, ses cheveux magnifiquement noirs, ses yeux flamboyants et, bien que je n’y connaisse rien, c’est certainement l’accent mexicain qui chantait dans son espagnol. Elle, c’est Frida Kahlo, la Frida Kahlo devant laquelle, hier matin, sur l’esplanade des Invalides, j’ai arrêté mon vélo tandis qu’elle avançait, sans me voir, vers la rue de l’Université, ou peut-être Saint-Dominique.







    On me demandait l’autre jour, on me demande souvent (comme aiment à dire ceux à qui on ne demande jamais rien) ; on me demandait l’autre jour pourquoi j’aimais vivre à Paris. Eh bien, c’est moins pour ses théâtres, ses musées, ses monuments, que pour cela : pouvoir croiser, tout au long de l’année, Frida Kahlo ou d’autres, je veux dire le monde entier.







    Ce que j’aime par dessus tout à Paris, ce sont les touristes, toutes ces femmes et tous ces hommes (mais les femmes plus encore que les hommes) dont les vêtements, l’attitude, les façons, la langue, racontent mille origines et autant de chemins, se croisent dans les mêmes rues, respirent le même air,  viennent, ensemble et chacun, porter ici témoignage de la diversité humaine, de la grande et belle diversité humaine.







    Entendre, tandis que je marche sur un trottoir, du grec, de l’hébreu, du chinois, de l’anglais, du russe, de l’arabe ; croiser des hommes en turbans et des femmes en voiles ; côtoyer la rousseur, la blondeur, la bruneur, la crêpeur, la tresseur de toutes ces chevelures, picorer quelques mots d’anglais par ci et d’italien par là, surprendre des conversations américaines, vietnamiennes ou sénégalaises, cela me donne un grand plaisir, un grand bain d’humanité.







    C’est cela, à mon sens, la vraie, la profonde richesse des cités capitales, des métropoles, des villes-monde à la Braudel : elles sont comme des aleph où se concentre l’univers, comme ces planètes centrales des livres et films de science-fiction où tout se trouve, s’échange, se perd, se retrouve, où tout se frotte, s’entrechoque, se rapproche et peut soudain danser, où tout peut arriver.







    Cosmopolite. J’aime la ville cosmopolite où chacun découvre l’autre, où chacun, dans l’autre, se découvre lui-même.

    Au commencement

    Au commencement

    Une aube vue du train































    Dater le commencement, dire quand advint, quand commença d’advenir le monde dans lequel nous vivons, préciser le moment exact où l’inflexion se fit, où la dérivée de l’histoire prit un signe nouveau, tout cela ne change rien à la factualité des choses, à leur substance. Et pourtant tout est changé, tout peut être changé de la perception, de la compréhension de ces choses en elles-mêmes inchangées.







    On en a un exemple, tragique, avec le 7 octobre, avec les massacres commis le 7 octobre en Israël par le Hamas. Sur les faits mêmes, horribles, qui eurent lieu, il n’y a pas de doute ; non plus du reste que sur le caractère terroriste, inhumain, indéfendable, des actes qui furent alors commis.







    Mais ces massacres ne se lisent, ne s’interprètent pas de la même façon selon qu’on considère qu’ils marquent le début d’une période nouvelle ou qu’ils prennent place dans une durée plus longue, dans une histoire tachée déjà de violence et de sang. Cette différence de perspective est une des causes du désespérant et douloureux dialogue de sourds auquel on assiste depuis des mois, entre ceux qui exigent que tout propos sur la guerre actuelle, sur la destruction, la désolation et la mort que l’armée israélienne sème actuellement à Gaza, débute par une condamnation des massacres du 7 octobre, et ceux qui considèrent qu’aussi horribles aient été ces massacres, ils sont la suite d’une longue histoire ayant déjà fait des dizaines de milliers de victimes ; qu’il n’y a donc pas plus lieu d’exiger une condamnation préalable des actes du 7 octobre qu’il n’y a lieu d’exiger une condamnation préalable de toutes les opérations israéliennes ayant conduit, depuis des dizaines d’années, à la mort de milliers de civils palestiniens ; et qu’il y a, dans l’imperception même du caractère scandaleux de ce déséquilibre, dans l’incapacité dans laquelle certains paraissent être de distinguer ce “deux poids, deux mesures”, quelque chose d’humiliant et d’inhumain, une façon de dire (même pas de dire : de faire comme s’il allait de soi) qu’elles ne pouvaient évidemment être que d’un côté, les victimes innocentes.







    À faire commencer les choses le 7 octobre, à produire un récit dans lequel l’horreur qui déferla ce jour-là ne sort de nulle part, jaillit inexpliquée d’une contrée paisible où tout se passait bien, on ne fait pas que réécrire l’histoire, on la rend incompréhensible. On s’empêche de voir que si ce qui se passe aujourd’hui à Gaza peut être vu comme une réaction au 7 octobre, c’est surtout la répétition d’une histoire mille fois jouée, celle des Palestiniens écrasés par Israël dans l’indifférence des grandes nations, comme si leur vie valait pas celle des victimes du 7 octobre, comme si le droit à vivre heureux et en paix ne valait pas pour elles.







    En faisant du 7 octobre un commencement, on s’interdit de voir tout ce qu’il y a comme recommencement, comme simple et tragique recommencement, dans l’immolation des Gazaouis dans le silence des nations.

    La courbe de mérite-ordures

    La courbe de mérite-ordures

    La poésie est partout, et parfois dans les lieux les plus inattendus, les plus improbables comme on dit, par exemple dans les procès-verbaux (et quoi de plus sérieux qu’un procès-verbal ?) d’une instance aussi digne et emplie de gravité que le Conseil supérieur de l’énergie (le CSE pour les intimes).







    Avant d’être relus par les membres du conseil et l’administration, les comptes-rendus des séances du CSE sont rédigés par des sténotypistes qui, le plus souvent (et on ne leur jettera certes pas la pierre !), ne sont pas des spécialistes de cette matière parfois compliquée et souvent jargonneuse qu’est l’énergie.







    Et c’est pourquoi, au détour de la retranscription d’une intervention où il était question de la “courbe de Merit order” (i.e. le classement des installations de production (ou d’effacement, ajouteront les un peu cuistres) en fonction de leur coût marginal de mobilisation), j’ai eu la joie (une vraie joie, sans aucune moquerie ; du simple plaisir sans tache), de découvrir que cette expression évidemment barbare et incompréhensible avait été remplacée par celle, rigolote, gracieuse et infiniment plus parlante, de courbe de mérite-ordures.







    Cette courbe de mérite-ordures, qui jaillissait comme un grand rire moqueur de ces dizaines et dizaines de pages remplies de choses très importantes mais infiniment rébarbatives, a éclairé ma journée, (et plus que ça en vérité). Elle m’a ouvert des horizons de correspondances poétiques et analogiques, des trous de vers dans l’espace-temps de la science économique dont, plusieurs jours après, je ne suis pas encore revenu.







    Ah ! La courbe du mérite-ordures, quelle fantastique, quelle délicieuse invention ! Merci à celle ou celui qui sut la dénicher.

    Plaisir volé

    Plaisir volé

    Boule de pâte































    Un petit énervement contre moi-même, mâtiné de regret, hier soir, tandis que je pétrissais la pâte à tarte que je venais de faire. De l’énervement et du regret à l’idée de tout le plaisir que j’avais perdu, pendant des dizaines d’années, en achetant de la pâte à tarte vendue dans le commerce au lieu de la faire moi-même, de la pétrir moi-même avec de la farine, de l’huile, du sel et de l’eau, et d’éprouver ainsi, sous mes doigts et ma paume, le contact soyeux de la farine formant peu à peu pâte et celui, souple, plastique, élastique, érotique, de la pâte devenant chair.







    Ils m’ont bien eu, me disais-je, ces vendeurs de pâte préfabriquée, à me convaincre qu’à utiliser leur produit je gagnerais du temps, alors que ce temps gagné était justement celui qu’il aurait fallu ralentir, allonger, arrêter, le temps béni des mains dans la farine.







    C’est toujours un marché de dupes avec ces histoires de temps gagné : on nous fait miroiter un gain de temps qui nous permettra d’accroître celui dont on dispose pour nous et ceux qu’on aime ; et l’on se rend compte que ce temps prétendument gagné est gaspillé devant sa télévision ou son téléphone tandis qu’est irrémédiablement perdu le temps en fait bien agréable qu’on employait à faire les courses, la cuisine, les tâches ménagères ou le bricolage. On a seulement remplacé un travail domestique dont on tirait fierté par de la consommation de masse, une consommation qui laisse un goût amer de temps perdu.







    C’est le même processus qu’avec la vitesse : on nous présente (mais nous tombons si facilement dans le panneau que nous sommes certainement plus consentantes que victimes), on nous présente la vitesse comme le moyen d’avoir plus de temps pour faire des choses intéressantes ; nous approuvons ce discours qui nous paraît si juste, si pertinent, si frappé au coin du bon sens ; hochons la tête à l’énoncé de cette apparente évidence ; et oublions que, très souvent, le temps gagné sur le déplacement est le sel même du voyage, sa substance la plus subtile et la plus irremplaçable ; qu’il y a, dans le trajet, dans la longueur, la durée, les affres et la fatigue du trajet, un espace, une ouverture, une attente sans lesquelles le voyage perd ses couleurs les plus vives, se désincarne et s’effiloche.







    J’en viens à me dire qu’il y a probablement, dans toute tentative pour gagner du temps, dans tout effort produit à cette seule fin, quelque chose d’intrinsèquement faux et peut-être même mensonger, car passant systématiquement sous silence le deuxième terme de l’échange : or il y a toujours, dans le gain de temps (dans ce qui ne vise que le gain de temps), une contrepartie, quelque chose de perdu, un essentiel, parfois, qui disparaît.















    Merci à Mylène qui m’a enfin convaincu de faire ma pâte au lieu de l’acheter.

    • 3 min

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