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Courts propos improvisés et quotidiens,

A propos de tout et de rien.

Improvisations (le podcast‪)‬ Aldor

    • Society & Culture

Courts propos improvisés et quotidiens,

A propos de tout et de rien.

    Les noms

    Les noms

    Il y a un livre de Don DeLillo, intitulé Les noms, dont l’histoire (passablement tortureuse) côtoie celle d’une secte d’adorateurs des mots, des noms, du langage ; d’adorateurs de la puissance, de la toute-puissance créatrice des noms. Je pense à ce roman chaque fois que je me rends à la cantine du bureau et que, arrivé devant les plats, qui sont là, devant moi, je ne puis cependant m’empêcher de tourner le regard vers la gauche et l’affichette qui, sur le mur, donne et détaille leur nom. Voir les mets ne me suffit pas ; il faut encore, il faut absolument qu’ils soient nommés.







    Je constate, à observer les personnes qui sont devant moi dans la file, que ce comportement est largement partagé ; et je sais d’expérience qu’il se reproduit en toutes circonstances : quoi que nous fassions, où que nous soyons, il ne nous suffit pas de voir, d’entendre, de toucher, de sentir, de goûter les choses ; il nous faut encore, pour avoir le sentiment, ou peut-être seulement l’impression, de les connaître, savoir leur nom. Sans ce nom quelque chose nous manque, manque à notre connaissance des choses.







    Je crois que cette nécessité du détour par le langage est assez universelle, sans doute même atavique. Mettre un nom sur les choses, pouvoir mettre un nom sur les choses est comme une exigence du fonctionnement de notre esprit qui se sent très mal à l’aise, très dépourvu vis-à-vis de ce qui ne peut être nommé, vis-à-vis des réalités auxquelles aucune case langagière ne peut être associée. À telle enseigne que les choses sans nom, ou celles qui ne peuvent être nommées, sont depuis toujours associées au mal absolu, au comble de l’horreur, d’une horreur qui, quand elle devient paroxysmique, est elle aussi dite sans nom.







    Nous vivons dans deux mondes : celui des êtres et des choses, et celui des idées et des mots ; deux mondes entre lesquels nous naviguons sans cesse et sur les deux jambes desquels nous sommes à chaque instant juchés, balançant notre attention de l’une à l’autre pour saisir pleinement ce qui nous entoure. Mais même si le monde des choses est nécessaire à notre survie, c’est pour le monde des mots, pour le nom des êtres et des choses que nous vivons vraiment : pour les contes et les mythes, les récits et les histoires. Qu’il y ait, dans tout le cinéma que chacune et chacun d’entre nous se fait, une part d’irréel, de rêverie, de paroles, cela nous gêne, nous effraie infiniment moins que la perspective, la hantise d’une vie dont rien ne pourrait être dit, d’une chute dans l’indicible.







    De là probablement en partie notre indifférence vis-à-vis de la catastrophe qui arrive. Ce n’est pas que des méchants détournent notre attention pour continuer leurs méfaits ; c’est que nous sommes les membres de cette espèce qui vit dans ses mots et ses rêves, qui vit plus dans ses mots et ses rêves qu’elle ne vit dans le monde physique, dans le monde des choses et des  êtres.

    • 4 min
    Dans la joie et sans la repentance

    Dans la joie et sans la repentance

    Le printemps au dessus de Creissels































    Il y a toujours, sur les chemins de Compostelle, une atmosphère, un parfum,  un suintement plutôt, de repentance ; toujours, ou très souvent, chez celles et ceux qui le parcourent, quelque chose qui relève de l’épreuve, du désir d’introspection, du besoin de faire le point, un point forcément difficile et torturant, avec soi-même. Et cela donne à la randonnée sur le Chemin une coloration, une lourdeur particulières, une gravité que, nolens volens, on ressent.







    Marcher toute la journée, quand on a, accroché dans le dos, un sac toujours trop lourd, parce qu’il est gros non seulement de sa tente et de ce qui est nécessaire mais aussi de tout ce qui est inutile et dont on a cru pourtant ne pouvoir se passer ; marcher toute la journée, quand celle-ci commence son déclin et que les dizaines de kilomètres ont acquis le droit de se mettre au pluriel, est toujours fatiguant, du moins pour les petites natures. Mais c’est une fatigue légère, joyeuse, une fatigue enjolivée, constellée des paillettes de la vanité un peu ridicule qu’on éprouve dans l’exploit – et même dans ce qui ne l’est pas.







    Quand les oiseaux chantent, que les hirondelles filent en tous sens, que les fleurs partout sont répandues sur l’herbe des prairies, que les papillons, les abeilles et les bourdons si gros, si poilus, si indifférents, si mignons, volètent d’un coeur à l’autre ; quand la splendeur du printemps éclate tellement qu’on en est ébahi, il n’y a que la joie, la joie dont on se laisse envahir, qui soit à la hauteur de la beauté du monde.







    Le reste, qui ne peut émerger que par des chemins noirs et vicieux, qui se nourrit de notre renfermement et de notre fermeture ; le reste n’est qu’orgueil.







    Vive les GR laïques. Et honnis soient les repentants et les remplis de gratitude !

    • 2 min
    Elle veut avoir l’air

    Elle veut avoir l’air

    Lum, un personnage du manga Urusei Yatsura, photographié dans la collection de Hervé di Rosa, (c) Centre Georges Pompidou































    Dans Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce, Antoine passe son temps à dire de sa jeune sœur Suzanne qu’elle “veut avoir l’air “, alors que c’est lui qui, toujours et systématiquement, se donne un air, lui “qu’aimerait avoir l’air mais qui a pas l’air du tout”, comme cet autre frère, cette pauvre hère que chante Jacques Brel dans Ces gens-là.







    C’est étrange comme, souvent, on veut avoir l’air ; et amusant comme, voulant avoir l’air,  on en accuse souvent les autres, si prompts,  si habiles nous sommes à déceler chez autrui le mal qui nous ronge et dont nous espérons probablement alléger le fardeau en le répartissant sur d’autres épaules que les nôtres.







    Avoir l’air. J’ai longtemps passé ma vie à  cela, posant comme ça n’est pas possible, incapable de savoir ce que, au fond, j’étais, doutant même de l’existence, de la consistance d’un tel vrai moi. Je n’en suis pas vraiment sorti. J’ai seulement fini par penser que j’étais peut-être cela, ce flottement continuel, cet éternel Zelig.







    L’autre jour, Aaron, qui a peut-être 22 ans, m’expliquait qu’elle ne se sentait pas adulte parce qu’elle n’avait pas tous les codes, toutes les connaissances, toutes les habitudes. Je ne les ai pas non plus ; et je ne suis probablement adulte que d’avoir accepté cela, qu’il n’y a pas, qu’il n’y aura jamais de lieu où je pourrais me dire : “J’y suis ; je suis arrivé”.







    On croit parfois qu’avec l’âge vient l’indifférence et le désabusement, ce qu’on appelle poliment la sagesse, une sorte de fatigue, de discipline dirait Katia, des émotions. Mais non ! Comme me le disait Marc, l’autre jour, dans l’ascenseur, au bureau : à chaque printemps on se fait avoir par la jeunesse, le renouveau et la beauté des fleurs ; à chaque printemps on se retrempe, comme un acier, dans l’espérance, et on se réattendrit.







    Je m’éloigne, mais pas tant que cela. Ce que je veux dire, c’est que, même s’ils n’ont pas que des qualités, j’aime bien celles et ceux qui veulent avoir l’air, parce qu’ils veulent cela de ne pas être totalement pétrifiés, totalement à l’aise, totalement collés à leur masque, à leur rôle. C’est bien, l’authenticité, mais il faut, pour être authentique, être d’abord ancré, sûr de son être, de sa place, de ses désirs ; et je suis de ceux qu’une telle certitude étonne, et à vrai dire effraie un peu aussi. Qu’on puisse vraiment se définir, se figer en quelque chose d’univoque, de définitif, justement, j’ai du mal à le croire et le croire me fait mal.







    J’aime bien Antoine, qui a plein de défauts, de vouloir toujours avoir l’air, parce qu’il n’est sûr de rien, et même pas de cela.

    • 3 min
    Pour le principe !

    Pour le principe !

    L’autre soir, au Monoprix de la rue de Rennes, des cris fusent. Un homme a découvert une différence entre le prix d’un paquet de yaourts affiché sur les rayonnages et celui qui lui est facturé à la lecture du code-barres. Il proteste de façon véhémente, hurle que c’est un scandale, et ajoute que ce n’est pas pour la différence, minime, mais “pour le principe”. Puis il part vérifier,  constate qu’il s’était trompé et n’avait pas regardé la bonne étiquette. Il n’en continue pas moins à vitupérer, expliquant que même s’il n’y a pas eu d’erreur, il aurait pu y en avoir une, et qu’encore une fois, ce ne sont pas les quelques centimes (imaginés) de différence qui le scandalisent mais le principe.







    Stupéfait, comme un peu tout le monde, par ses cris qui s’entendaient de loin, je me faisais la réflexion que la mise en avant de ce “pour le principe” (je dis bien la mise en avant ; pas la pensée) est le plus souvent louche, voire carrément de mauvaise foi, car elle concerne toujours, quoi qu’on prétende, des incidents où nous sommes perdants, où l’irrespect des principes nous est dommageable.







    Car quand ce sont vraiment les principes et eux seuls que nous défendons, quitte à perdre à leur application, nous ne parlons pas, il ne nous viendrait pas à l’esprit de parler de principe ; nous parlons d’honnêteté, de justice, d’équité ou éventuellement de scrupules. La mise en avant des principes, des seuls principes, c’est seulement quand nos intérêts sont en jeu, serait-ce de façon minime.







    Il est au demeurant parfaitement légitime de réclamer la bonne application des règles, y compris lorsque cette bonne application nous est favorable. Mais nous n’osons pas, craignant à la fois de paraître intéressés et grippe-sous, ou inutilement procéduriers.  C’est pourquoi nous invoquons les principes, qui ne sont pourtant pas, en l’occurrence, ce qui nous pousse à agir.







    C’est dans la colère, la colère totalement disproportionnée que manifestait mon bonhomme, et qui me rappelait celles qu’a parfois Katia lorsqu’elle doit affronter sa propre mauvaise foi, que s’exprimait le malaise de ce mensonge, de ce mensonge non assumé. Ces cris nous cassaient les oreilles mais c’est d’abord à lui qu’ils étaient destinés, à lui qu’il en voulait.

    • 2 min
    Le pouvoir et l’autorité

    Le pouvoir et l’autorité

    Un pochoir de la regrettée Miss Tic, je ne sais plus très bien où dans le Ve arrondissement de Paris































    Lors du beau discours qu’il prononça avant-hier à l’occasion de son départ en inactivité, pour utiliser la formule officiellement employée dans la branche où je travaille, Laurent souligna la différence qu’il convenait de faire entre l’autorité et le pouvoir ; l’autorité, qui émane de la personne, et qui s’appuie sur des  connaissances, des compétences, des qualités particulières, à laquelle on se rallie et obéit comme naturellement, parce qu’on sent et sait qu’elle est fondée, qu’elle est légitime ; et le pouvoir, qui est donné à une personne par autrui, qui est question de hiérarchie, de puissance, de normes, de droits, de discipline, de préférence, d’âge et parfois de sexe, le pouvoir dont l’existence est nécessaire mais qui n’est pas sui generis, pour parler ce latin dont il fut également question.







    Il n’est pas toujours nécessaire que le pouvoir s’accompagne d’autorité. Il y a bien des cas dans lesquels des décisions sont nécessaires mais où le sens de la décision importe en fait beaucoup moins que sa factualité : l’important n’est pas de savoir où l’on va,  c’est d’aller quelque part et de sortir de l’indécision. Mais le plus souvent, il est bon que le pouvoir et l’autorité coïncident, que les deux convergent et s’incarnent même dans les mêmes personnes.







    Mon point (et c’est à cela que me faisaient penser les propos de Laurent) ; mon point est celui de la prévalence : l’autorité, comme l’amour j’y pense maintenant, est un sentiment (le mot n’est pas bon mais je ne sais pas trop comment qualifier ce genre de choses) discret, au sens mathématique du terme : il existe, s’exprime et se constate dans l’immédiat et dans la proximité immédiate, dans la présence et dans l’action. Toute tentative de non pas l’exercer directement mais de s’en prévaloir le réduit en fumée comme les consignes initiales de Mission impossible. Se prévaloir de son amour ou de son autorité (je veux dire : s’en prévaloir sans en faire preuve au même instant), c’est le ou la détruire, à jamais.







    Or de même que la mauvaise monnaie chasse la bonne, il arrive que les personnes qui disposaient d’autorité et à qui le pouvoir a en conséquence été confié, soient progressivement gangrenées par ce pouvoir et les responsabilités qui vont avec. C’est la dérive de l’argument d’autorité, par lequel on se prévaut de l’autorité au lieu de l’exercer et qui pour cela, en dépit de son nom, est l’archétype de l’abus de pouvoir.







    C’est pourquoi j’aime bien, en dépit de ses nombreux défauts, cette démocratie athénienne avec ses mandats courts et parfois tirés au sort. Il est judicieux de mettre tout en oeuvre pour éviter que l’autorité ne se dégrade en pouvoir.

    • 3 min
    Des animaux ! Des choses !

    Des animaux ! Des choses !

    Les êtres, humains mais aussi animaux, les êtres humains comme les autres animaux, ne sont interchangeables que pour celles et ceux qui les veulent interchangeables, qui les rendent et les font interchangeables en les réduisant à cette petite part d’eux-mêmes qui est effectivement interchangeable, ou qui peut le devenir, par l’effort et la discipline. Ils sont rendus interchangeables par le regard armé de ceux qui, voulant les utiliser, les exploiter comme des choses, les considèrent d’avance comme des choses.







    C’est le regard intéressé, instrumental, de celles et ceux qui ont choisi de s’en servir, qui rend les êtres interchangeables, qui les réduit pornographiquement à cette partie de corps, à ce geste toujours répété, à cette compétence unique, cette caractéristique particulière mais tellement limitée qu’elle est effectivement, au bout du compte, reproductible. Car c’est absolument vrai : pour qui a décidé de ne voir en nous  que cela, nous sommes toujours et absolument remplaçables, toujours interchangeables, jamais uniques : “un de perdu, dix de retrouvés”, comme me le dit un jour Katia, à qui il arriva d’être plus perspicace, et aussi plus subtile dans la compréhension profonde des mots qu’elle prononçait.







    Mais je m’égare. Ce que je dis, ce que je veux dire, ce que je voulais dire pour parler comme les personnages de Lagarce, c’est que le regard réducteur, ce regard qui, comme celui de la Méduse, réduit les êtres en choses, en pauvres choses interchangeables, n’est pas seulement celui du fordisme, du capitaine d’industrie moderne qui, pour produire à la chaîne et en grande série, a besoin d’une main-d’œuvre elle-même taylorisée, elle-même enchaînée, réduite à l’état de machine et produite en série ; qu’il n’est pas seulement non plus le regard du maître (de la maîtresse) qui, pour asservir et dominer, a besoin d’une masse apeurée, rendue servile par la crainte d’être remplacée, de perdre son emploi, ses revenus, ses moyens de vivre : ce regard réducteur, ce regard pétrifiant est aussi celui de celle (de celui) qui ne peut accomplir sa mauvaise action, qui ne peut traiter les êtres comme il le fait, qu’à condition de ne plus voir en eux que des choses, des choses qu’il devient donc possible de traiter comme telles. Car sinon, il (elle) ne pourrait pas, ne pourrait pas ainsi agir, ne pourrait pas surmonter sa peur, son désespoir, son dégoût de soi-même.







    Il faut, pour surmonter la nausée qu’engendre cette instrumentalisation, cette exploitation, et parfois pire, bien pire,  d’autres êtres humains, d’autres êtres vivants ; il faut rompre le lien, le lien qui avec eux existe et nous porte à les secourir. Il faut rompre le lien et lui substituer l’indifférence née de la différence : nous ne sommes pas pareils, et comme je suis un être humain, un être vivant, vous ne l’êtes sans doute pas ; et c’est pourquoi je puis faire de vous des choses, ces choses que vous êtes déjà.







    Ces choses que vous êtes déjà parce que j’ai abdiqué de mon humanité.

    • 4 min

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