6 Min.

Soufre Polaroid 41

    • Beziehungen

http://polaroid41.com/soufre/

Mardi 13 Octobre 2020, 9h53.

Je suis sur la route en ce moment et l’autoradio n’arrête pas d’évoquer la fameuse “tenue républicaine” prônée pour se rendre à l’école par notre ministre de l’éducation. Je me questionne encore sur la manière dont on regarde les femmes et les jeunes filles en 2020. Je ne sais pas si le ministre a été maladroit ou au contraire très clair, en nous dévoilant le fond de sa pensée. Je préfère croire à la maladresse ou à l’empressement, qu’on me laisse croire encore un peu. Dans le second cas, nous revoilà inévitablement plongés dans le débat sur la longueur de la jupe et ce nombril apparent qui menacerait la république. L’idée que la tenue que portent les jeunes filles, puisque c’est de là que tout est parti, soit la cause directe de la manière dont on les traite est insoutenable. Pas aujourd’hui, pitié, pas en 2020. Et je passe sur le fait que ces mêmes jeunes filles ne puissent plus afficher leur sourire au collège ou au lycée, pandémie oblige. Alors voilà, je me questionne encore et encore sur le regard que l’on porte sur ces jeunes filles.

Le 14 Mai 2019, j’écrivais un petit texte, un polaroid par excellence qui parle de ça. J’y évoquais une de mes filles, encore.. Je parle beaucoup de mes filles, pardon, après promis j’arrête, peut-être, pas sûr, jamais. Ma fille Anouk a 6 ans à l’époque et elle danse, c’est tout.

_ « Toi tu vas pouvoir mettre du soufre…

_ Pardon ?

_ Tu vas pouvoir mettre du soufre. »

Je précise le contexte : j’ai été convié aux 90 ans de mon voisin Jeannot. Je suis là en famille, avec ma femme et mes trois filles.

Je connais environ un quart de l’assemblée. Pour le reste, on se présente, on papote, et à l’occasion on se marre bien.

C’est là qu’intervient mon interlocuteur. Un type d’une soixantaine d’année, jeune retraité de la haute fonction publique, ventripotent, content de lui, et le teint rouge vif. On échange trois mots, et comme dirait ma chérie qui est loin d’être une quiche, il est content d’être heureux Rubicond. Il me décrit sa carrière, sa prise de poste à Wallis et Futuna, son retour en métropole, la joie qu’il éprouve de se retrouver ici entouré de gens simples dans une salle des fêtes de campagne.

Je lui parle de mon amitié pour Jeannot, le héros du jour, qui vient d’une passion commune pour le jardinage.  La musique est chouette ; un improbable dj, sosie de feu Dick Rivers, diffuse maintenant des tubes des années 70. L'aînée de mes filles finit son dessert, la deuxième danse et la petite dernière escalade une pile de chaises. Bref, tout est normal quand Rubicond me lâche « Toi, tu va pouvoir mettre du soufre… »

J’ai d’abord pensé qu’il faisait allusion au traitement fongicide pour la vigne. J’étais tombé sur un expert et je type me gratifiait d’un conseil : il fallait que je pulvérise au plus vite du soufre sur ma vigne pour la garder saine. C’était plutôt sympa de sa part mais un peu surprenant surtout au milieu d’une conversation sur le théâtre. D’où mon « Pardon ? » qui a bien mis trente seconde à sortir de ma bouche.

« Tu vas pouvoir mettre du soufre. »

Et là, histoire que je comprenne de quoi il retourne, Rubicond me désigne du menton ma fille de six ans en train de se déhancher sur la piste au son du groupe Abba. Elle tourne sur elle-même, prend la pose une main sur la hanche et reprend sa danse.

Elle est toute jolie avec sa couette et ses grands yeux gris-bleus. Elle porte un legging noir et un tee-shirt orange à large encolure qui laisse apparaitre l’une ou l’autre de ses épaules selon ses mouvements, ou plutôt ses bonds. Elle s’éclate comme une folle.  Mes yeux vont d’elle à lui, puis de mon verre à lui. C’est donc ça, le soufre…

Polaroid et texte intégral disponible à http://polaroid41.com/soufre/

http://polaroid41.com/soufre/

Mardi 13 Octobre 2020, 9h53.

Je suis sur la route en ce moment et l’autoradio n’arrête pas d’évoquer la fameuse “tenue républicaine” prônée pour se rendre à l’école par notre ministre de l’éducation. Je me questionne encore sur la manière dont on regarde les femmes et les jeunes filles en 2020. Je ne sais pas si le ministre a été maladroit ou au contraire très clair, en nous dévoilant le fond de sa pensée. Je préfère croire à la maladresse ou à l’empressement, qu’on me laisse croire encore un peu. Dans le second cas, nous revoilà inévitablement plongés dans le débat sur la longueur de la jupe et ce nombril apparent qui menacerait la république. L’idée que la tenue que portent les jeunes filles, puisque c’est de là que tout est parti, soit la cause directe de la manière dont on les traite est insoutenable. Pas aujourd’hui, pitié, pas en 2020. Et je passe sur le fait que ces mêmes jeunes filles ne puissent plus afficher leur sourire au collège ou au lycée, pandémie oblige. Alors voilà, je me questionne encore et encore sur le regard que l’on porte sur ces jeunes filles.

Le 14 Mai 2019, j’écrivais un petit texte, un polaroid par excellence qui parle de ça. J’y évoquais une de mes filles, encore.. Je parle beaucoup de mes filles, pardon, après promis j’arrête, peut-être, pas sûr, jamais. Ma fille Anouk a 6 ans à l’époque et elle danse, c’est tout.

_ « Toi tu vas pouvoir mettre du soufre…

_ Pardon ?

_ Tu vas pouvoir mettre du soufre. »

Je précise le contexte : j’ai été convié aux 90 ans de mon voisin Jeannot. Je suis là en famille, avec ma femme et mes trois filles.

Je connais environ un quart de l’assemblée. Pour le reste, on se présente, on papote, et à l’occasion on se marre bien.

C’est là qu’intervient mon interlocuteur. Un type d’une soixantaine d’année, jeune retraité de la haute fonction publique, ventripotent, content de lui, et le teint rouge vif. On échange trois mots, et comme dirait ma chérie qui est loin d’être une quiche, il est content d’être heureux Rubicond. Il me décrit sa carrière, sa prise de poste à Wallis et Futuna, son retour en métropole, la joie qu’il éprouve de se retrouver ici entouré de gens simples dans une salle des fêtes de campagne.

Je lui parle de mon amitié pour Jeannot, le héros du jour, qui vient d’une passion commune pour le jardinage.  La musique est chouette ; un improbable dj, sosie de feu Dick Rivers, diffuse maintenant des tubes des années 70. L'aînée de mes filles finit son dessert, la deuxième danse et la petite dernière escalade une pile de chaises. Bref, tout est normal quand Rubicond me lâche « Toi, tu va pouvoir mettre du soufre… »

J’ai d’abord pensé qu’il faisait allusion au traitement fongicide pour la vigne. J’étais tombé sur un expert et je type me gratifiait d’un conseil : il fallait que je pulvérise au plus vite du soufre sur ma vigne pour la garder saine. C’était plutôt sympa de sa part mais un peu surprenant surtout au milieu d’une conversation sur le théâtre. D’où mon « Pardon ? » qui a bien mis trente seconde à sortir de ma bouche.

« Tu vas pouvoir mettre du soufre. »

Et là, histoire que je comprenne de quoi il retourne, Rubicond me désigne du menton ma fille de six ans en train de se déhancher sur la piste au son du groupe Abba. Elle tourne sur elle-même, prend la pose une main sur la hanche et reprend sa danse.

Elle est toute jolie avec sa couette et ses grands yeux gris-bleus. Elle porte un legging noir et un tee-shirt orange à large encolure qui laisse apparaitre l’une ou l’autre de ses épaules selon ses mouvements, ou plutôt ses bonds. Elle s’éclate comme une folle.  Mes yeux vont d’elle à lui, puis de mon verre à lui. C’est donc ça, le soufre…

Polaroid et texte intégral disponible à http://polaroid41.com/soufre/

6 Min.