L'HEBDO — Élections américaines : la communauté queer retient son souffle
Cette semaine, avec l'historien Anthony Castet, on s'intéresse aux enjeux queers des élections américaines, qui auront lieu le mardi 5 novembre. Le 5 novembre prochain, vous n’êtes pas sans savoir que les Etats-Unis auront un ou une nouvelle présidente. deux choix : Donald Trump à nouveau ou Kamala Harris. Selon Corentin Sellin, professeur, spécialiste des Etats-Unis, ce sera l’élection la plus serrée depuis 25 ans. En effet, Kamala Harris partirait approximativement avec un socle de 226 grands électeurs, ce qui signifie qu’elle doit en gagner 44 pour franchir la barre des 270 grands électeurs et être élue. Pour Donald Trump qui part lui avec un socle de 219 grands électeurs, il lui en faudrait 51 pour atteindre les 270. Dans un contexte où les lois transphobes se sont multipliés dans de nombreux États, et que Donald Trump renforce sa rhétorique LGBTphobe, on se demande quelles peuvent être les conséquences de l'élection du candidat Républicain le 5 novembre prochain. Pour en parler, nous recevons Anthony Castet, maître de conférence à l’Université de Tours, docteur en études Nord-Américaines, spécialiste des questions historiques, politiques et juridiques liées aux identités LGBTQ+, et auteur La fabrique de l’égalité LGBTQ+ aux Etats-Unis (Presses Universitaires François Rabelais) Disclaimer : cet épisode a pu être enregistré grâce aux autorisations requises pour la participation de notre invité. Présente-nous les positions des deux candidats quant aux questions LGBT+ et aux droits LGBT qui leur sont accordés. Anthony Castet: On a deux candidats qui sont radicalement opposés sur le traitement d'un groupe minoritaire. On a un parti républicain bien sûr, qui, fidèle à ses valeurs conservatrices, fidèle aux valeurs de la famille et plutôt reste plutôt hostile au progrès des droits des personnes LGBTQ+ aux États-Unis. Donc on va on en parlera probablement en détail, mais Trump, au cours de son mandat en tant que président des États-Unis, s'est évertué finalement à mettre en place une politique extrêmement régressive pour attaquer les droits fondamentaux des personnes LGBTQ+ et plus particulièrement des personnes trans. On va on va probablement développer, mais pour mais. A titre d'exemple, à peine Trump avait il prêté serment en 2017 que la page de la Maison Blanche consacrée aux personnes LGBT a été supprimée. Et puis, bien sûr, la décision la plus controversée de son premier mandat reste le rétablissement de l'interdiction faite aux Américains transgenres de servir dans l'armée américaine, alors que Barack Obama l'avait suspendue en 2016. Et pour Camel Harris, alors? Pour Camel Harris, effectivement. Alors là, ce qui est intéressant, c'est que oui, on a on a clairement une candidate qui est alliée du mouvement. Elle a reçu un soutien franc et massif du mouvement LGBTQ+. Hormis le Cabinet, cette association organisation gay conservatrice fidèle au parti républicain. Les électeurs LGBTQ+ ne sont pas à considérer comme appartenant à un bloc monolithique. Donc moi, ce que j'ai envie de dire, c'est que ce mouvement dans ce mouvement, diversité et dissension coexiste, même si clairement, une victoire de Donald Trump ne sera pas synonyme de progrès pour les droits de ces personnes et donc pour le mouvement LGBTQ+, évidemment. Faire élire Kamala Harris est une question de vie ou de mort, surtout pour les personnes trans. En quelle mesure Kamala Harris est-elle véritablement engagée sur les questions LGBT+ ? Anthony Castet: Harris est incontestablement une alliée du mouvement LGBTQ+. Elle se montre notamment au cours des Prides un peu partout dans le pays. Elle affiche clairement son soutien politique à ce mouvement. Et je dirais qu'en tant que telle, c'est une femme politique de conviction qui s'est forgée une carrière avec, chevillée au corps la défense du droit comme ligne de mire. Mais je dirais qu'elle est aussi capable de se remettre en question lorsqu'elle a tort. Et elle a fait qu'elle a fait des erreurs, notamment sur les questions d'orientation sexuelle et d’identité de genre. Alors il faut savoir que, comme ministre de la Justice de Californie, on lui a reproché et on lui reproche encore sa fermeté sur la question de l'incarcération des personnes de couleur et notamment des personnes trans noires. On lui a aussi, on a aussi critiqué ses prises de position contradictoires sur la peine de mort, ce qui a suscité quelques remous, pour ne pas dire l'indignation, au sein du mouvement trans plus particulièrement. Mais je crois que, comme Harris a su entendre les critiques et elle a vraiment mené un travail de réflexion sur les préoccupations des populations les plus marginalisées du mouvement et a su se faire pardonner avec des gestes certes emblématiques, comme en s'excusant publiquement, en faisant acte de contrition ou en indiquant aussi les pronoms par lesquels elle souhaitait être désignée lors d'un discours à Los Angeles en 2019. Je dirais en tout cas que son action politique en faveur des personnes LGBTQ+ ne remonte pas à l'élection de Joe Biden. L'élection de Joe Biden a provoqué une réaction de rejet dans les états trumpistes. Les législateurs fidèles à Trump ont utilisé la loi comme arme de destruction massive pour invisibiliser les personnes trans. Anthony Castet Pendant le mandat de Joe Biden, on a vu se multiplier les propositions de loi transphobe dans de nombreux États américains. Est ce qu'une potentielle élection de Kaminari pourrait changer la donne ? Pour être tout à fait honnête, absolument pas. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'aux États-Unis, on est sur un système fédéral. Donc il y a l'État fédéral et vous avez les États fédérés. Et en fait, les États sont parfaitement libres d'adopter les politiques qu'ils entendent mener. S’ils décident de s’en prendre aux personnes trans, ils peuvent le faire facilement. Parce que les Républicains acquis à Donald Trump ont des majorités très claires dans plusieurs États, pour mener une guerre culturelle sans merci, sans états d'âme contre les personnes LGBTQ+. Ceci étant, ce qu'il faut savoir, c'est qu'en fait ces lois transphobes sont apparues juste après l'élection de Joe Biden. L'élection de Joe Biden a provoqué une réaction de rejet dans les états trumpistes. Ce que l'on observe en fait, c'est que les législateurs fidèles à Trump ont utilisé la loi comme arme de destruction massive pour invisibiliser les personnes trans en les entravant, par exemple dans les domaines de l'accès à la santé et des soins qui, je le rappelle, visent à soutenir l'autonomie de ces personnes dans leur parcours de transition ou d'affirmation de genre dans l'accès à l'éducation. Et donc, au total, j'ai regardé les derniers chiffres qui sont assez spectaculaires. Près de 1600 projets de loi ont été déposés dans différentes législatures d'État depuis quatre ans. Entre 2022 et 2023, le nombre de projets de loi pénalisant les personnes trans a doublé. On a beaucoup entendu parler de la loi “Don’t say gay”. Ce texte était destiné à censurer les cours des enseignants et donc remettre en cause leur liberté académique pour tout ce qui concerne les questions autour de la race, l'orientation sexuelle, l'identité de genre et plus largement l'histoire des personnes LGBT+. Ron DeSantis, l'actuel gouverneur de Floride et qui a des prétentions présidentielles, livre une guerre culturelle sans états d'âme contre les personnes LGBTQ+ et plus particulièrement les personnes trans ainsi que la culture drag. Donc je dresse un tableau un peu cataclysmique, mais je tiens à nuancer, parce qu’il ne faut pas douter un seul instant que ces nombreuses lois d’État ont pour la plupart été rejetées. Pour deux raisons : d'abord parce que ces lois sont une atteinte manifeste à la liberté d'expression qui est garantie par le Premier amendement ; et ensuite, parce que ces lois constituent également une privation de liberté pour les personnes LGBT+, notamment les personnes trans, ce qui pourrait remettre en cause leur constitutionnalité en vertu de l’égale protection des lois du 14ᵉ amendement, puisque ces lois stigmatisent une classe d'individus. Est ce que tu peux expliquer et expliquer ce que c'est que l’Equality Act, pour l’instant bloqué au Sénat par les Républicains ? Et est ce que c'est vraiment quelque chose qui pourrait changer la donne pour les personnes LGBT ? Cette loi est fondamentale parce qu'elle va protéger de la discrimination les personnes LGBTQ+. Mais moi je dis toujours qu'une loi n'est jamais invincible. C'est-à-dire qu'en fait on peut tout à fait ester en justice en contestant la loi face à la Cour Suprême. J'ai des tas d'exemples à citer où la Cour suprême a fini par juger que telle loi était inconstitutionnelle. Donc en fait, en termes d'armes pour légiférer en faveur des droits LGBT, on a surtout le 14ᵉ amendement… Exactement. Essentiellement pour les deux raisons dont j'ai évoqués précédemment. C’est cet amendement qui permet de défendre des libertés qui sont jugées fondamentales, comme le mariage et puis, bien sûr, l'égale protection des lois : on s'assure en fait que la loi s'applique de manière uniforme à l'ensemble des citoyennes et des citoyens. Prenons deux exemples. En 1996, la Cour Suprême adopte l’arrêt Romer v. Evans. En jeu : un amendement qui interdisait clairement la protection des personnes homosexuelles dans l'État du Colorado. Et donc le juge Kennedy a estimé que cet amendement était contraire à la clause de l’égale protection des lois du 14ᵉ amendement. Autre exemple en 2003, avec l'abrogation des lois anti sodomie. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'au départ ces lo