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Monsieur Madeleine et la conscience Aldor (le podcast)

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Quand Jean Valjean, devenu Monsieur Madeleine, bienfaiteur et maire de Montreuil-sur-Mer, apprend qu’un innocent va être condamné pour ses propres crimes, il abandonne tout pour aller se dénoncer.C’est ce passage que je lis.Pourquoi agit-il ainsi ? Il a, pendant des nuits, agité cette décision dans son esprit : c’est qu’en face de l’innocence de l’innocent, il y a Fantine et Cosette, qui de lui ont besoin, et qui sans lui resteront dans la nuit.Il choisira de les sauver. – de sauver ce qui peut être sauvé – mais de se dénoncer d’abord pour que Champmathieu soit libéré.Pourquoi le fait-il ? Il ne suffit pas de répondre : “par honnêteté”, “par conscience”, ou “parce que c’est ce qu’il doit faire”, comme si prononcer ces mots ou les penser suffisait à éclairer les choses. L’œil qui est dans la tombe et regarde Caïn n’est pas si facile à comprendre. Car si vraiment la voix de la conscience était irrépressible, si l’on ne pouvait se dérober à ses injonctions, il n’y aurait aucun mérite à la suivre ; elle s’imposerait à nous. Or, elle ne s’impose pas. La conscience parle  – on peut l’appeler Dieu – et nous pouvons l’écouter ou faire la sourde oreille ; c’est l’épreuve initiatique de la liberté.Monsieur Madeleine pourrait ne pas écouter sa conscience et il aurait mille bonne raisons de le faire. Et pas seulement des raisons égoïstes. La conscience, ce n’est pas les autres contre soi, comme on le croit parfois, en simplifiant ; c’est autre part que court la ligne de faille. Ça n’est pas non plus – faut-il le préciser ? – la loi, la morale, les bonnes mœurs, l’intérêt, et encore moins ce que, dans un  étrange oxymoron, on appelle parfois “bonne conscience“. La conscience transcende tout cela et s’en fiche comme de colin-tampon. La conscience, c’est, par construction, ce qui transcende toutes les règles, toutes les apparences, toutes les excuses, tous les faux-semblants et les faux-fuyants derrière lesquels nous nous réfugions ordinairement pour nous épargner le fardeau de la liberté ; la conscience, c’est l’exercice de la liberté.C’est pourquoi être renvoyé à sa conscience peut être si pénible, si douloureux, si déstabilisant : on ne peut plus s’abriter au fond de jolies phrases, de mots préfabriqués ou de postulats venus d’on ne sait où ; on se retrouve nu, fort seulement de tous nos savoirs, de toutes nos impressions, de toutes nos intuitions, nu et en même temps totalement souverain.C’est paradoxalement dans cet air de totale liberté que règne le devoir, qui est un autre nom de la conscience, le devoir qui est ce que je dois faire quand rien d’autre ne me force à le faire, quand je suis totalement libre de ne pas le faire. Le devoir qui, remarque Simone Weil, dans un monde où je ne puis avoir aucune certitude sur le fait que les autres respecteront mes droits, la justice et le bien, est mon seul moyen d’action : je ne puis être sûr de rien ; je peux seulement faire ma propre part.C’est cela, la conscience, faire ma propre part, du mieux que je le puis, parce que c’est la seule chose qui ne dépende que de moi.Et c’est ce que fait Monsieur Madeleine.Et maintenant, le passage, constitué de la fin du chapitre 10 et du chapitre 11 du Livre VII :Une rumeur éclata dans le public et gagna presque le jury. Il était évident que l’homme était perdu.– Huissiers, dit le président, faites faire silence. Je vais clore les débats.En ce moment un mouvement se fit tout à côté du président. On entendit une voix qui criait :– Brevet, Chenildieu, Cochepaille !

Quand Jean Valjean, devenu Monsieur Madeleine, bienfaiteur et maire de Montreuil-sur-Mer, apprend qu’un innocent va être condamné pour ses propres crimes, il abandonne tout pour aller se dénoncer.C’est ce passage que je lis.Pourquoi agit-il ainsi ? Il a, pendant des nuits, agité cette décision dans son esprit : c’est qu’en face de l’innocence de l’innocent, il y a Fantine et Cosette, qui de lui ont besoin, et qui sans lui resteront dans la nuit.Il choisira de les sauver. – de sauver ce qui peut être sauvé – mais de se dénoncer d’abord pour que Champmathieu soit libéré.Pourquoi le fait-il ? Il ne suffit pas de répondre : “par honnêteté”, “par conscience”, ou “parce que c’est ce qu’il doit faire”, comme si prononcer ces mots ou les penser suffisait à éclairer les choses. L’œil qui est dans la tombe et regarde Caïn n’est pas si facile à comprendre. Car si vraiment la voix de la conscience était irrépressible, si l’on ne pouvait se dérober à ses injonctions, il n’y aurait aucun mérite à la suivre ; elle s’imposerait à nous. Or, elle ne s’impose pas. La conscience parle  – on peut l’appeler Dieu – et nous pouvons l’écouter ou faire la sourde oreille ; c’est l’épreuve initiatique de la liberté.Monsieur Madeleine pourrait ne pas écouter sa conscience et il aurait mille bonne raisons de le faire. Et pas seulement des raisons égoïstes. La conscience, ce n’est pas les autres contre soi, comme on le croit parfois, en simplifiant ; c’est autre part que court la ligne de faille. Ça n’est pas non plus – faut-il le préciser ? – la loi, la morale, les bonnes mœurs, l’intérêt, et encore moins ce que, dans un  étrange oxymoron, on appelle parfois “bonne conscience“. La conscience transcende tout cela et s’en fiche comme de colin-tampon. La conscience, c’est, par construction, ce qui transcende toutes les règles, toutes les apparences, toutes les excuses, tous les faux-semblants et les faux-fuyants derrière lesquels nous nous réfugions ordinairement pour nous épargner le fardeau de la liberté ; la conscience, c’est l’exercice de la liberté.C’est pourquoi être renvoyé à sa conscience peut être si pénible, si douloureux, si déstabilisant : on ne peut plus s’abriter au fond de jolies phrases, de mots préfabriqués ou de postulats venus d’on ne sait où ; on se retrouve nu, fort seulement de tous nos savoirs, de toutes nos impressions, de toutes nos intuitions, nu et en même temps totalement souverain.C’est paradoxalement dans cet air de totale liberté que règne le devoir, qui est un autre nom de la conscience, le devoir qui est ce que je dois faire quand rien d’autre ne me force à le faire, quand je suis totalement libre de ne pas le faire. Le devoir qui, remarque Simone Weil, dans un monde où je ne puis avoir aucune certitude sur le fait que les autres respecteront mes droits, la justice et le bien, est mon seul moyen d’action : je ne puis être sûr de rien ; je peux seulement faire ma propre part.C’est cela, la conscience, faire ma propre part, du mieux que je le puis, parce que c’est la seule chose qui ne dépende que de moi.Et c’est ce que fait Monsieur Madeleine.Et maintenant, le passage, constitué de la fin du chapitre 10 et du chapitre 11 du Livre VII :Une rumeur éclata dans le public et gagna presque le jury. Il était évident que l’homme était perdu.– Huissiers, dit le président, faites faire silence. Je vais clore les débats.En ce moment un mouvement se fit tout à côté du président. On entendit une voix qui criait :– Brevet, Chenildieu, Cochepaille !

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