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Un site avec des mots, des images et des sons

Aldor (le podcast‪)‬ Aldor

    • Society & Culture

Un site avec des mots, des images et des sons

    Le Mont Analogue

    Le Mont Analogue

    “La porte de l’invisible doit être visible” répète Patti Smith dans Peradam, ce morceau-titre de l’album dont le nom renvoie à cette “seule substance, ce seul corps matériel auquel les guides du Mont Analogue reconnaissent une valeur.”







    Le Mont Analogue est cette montagne, la plus haute du globe, qui s’élève, invisible, au milieu des mers antipodiques, et qui ne se révèle, comme les péradams, qu’à ceux qui s’en sont montrés dignes (et ont peut-être été, pour cette raison, élus).







    René Daumal est mort avant d’avoir terminé son roman. Il nous quitte au détour d’une virgule posée par Théodore, le narrateur, laissant en suspens le récit d’un enchaînement de catastrophes nées de la mort d’un rat. Cette histoire d’équilibre écologique menacé par l’action des hommes est l’un des quelques contes qui s’enchâssent dans le récit principal, le troublent mais en éclairent peut-être le sens, à la façon d’une pierre précieuse, d’un péradam ou des disgressions qu’on trouve dans le Manuscrit trouvé à Saragosse ou Les Mille et une nuits.







    Le Mont Analogue lui-même est comme un syncrétisme des monts sacrés, depuis l’Olympe jusqu’au Sinaï, en passant par le Méru des religions orientales. Il est, comme le suppose le narrateur dans un article de la Revue des fossiles, la voie unissant la terre au ciel, le lieu de rencontre de l’homme et du divin, la porte permettant d’atteindre l’inaccessible en partant de l’accessible. Et comme cette porte est nécessaire, elle existe forcément. L’article tombe sous les yeux de Pierre Sogol, mélange de Pic de la Mirandole et de Georges Gurdjieff échappé du monastère ; et ce Pierre étant également convaincu de l’existence de cette montagne, ils décident tous deux de la trouver et d’en faire l’ascension, point de départ de l’aventure et du livre.







    Je ne ferai pas la narration de ce voyage qui, partant de l’inexistant 37, passage des Patriarches, aboutit en un lieu inconnu de nos cartes. Un mot seulement sur la méthode de recherche, qui me semble excellente : elle consiste à supposer le problème résolu et à en déduire toutes les conséquences logiques pour en trouver la solution. Un autre sur René Daumal dont je viens de découvrir (et je n’en reviens pas) qu’il donna des cours de sanskrit à Simone Weil. Et un dernier sur l’épisode qui intervient à la veille de l’ascension proprement dite : Pierre Sogol, jusqu’alors chef de l’expédition, abdique de son rôle de chef et dépose sa casquette galonnée “qui était couronne d’épines pour la mémoire que j’ai de moi”. L’adulte se dépouille de son personnage, laisse place au petit enfant qui se réveille, “un petit enfant qui cherche père et mère, qui cherche avec vous l’aide et la protection ; la protection contre son plaisir et son rêve, l’aide pour devenir ce qu’il est sans imiter personne.” Et c’est à cet instant que, dans le sable de la plage, est trouvé le premier péradam, cette pierre qui, comme tous les trésors vrais, ne se révèle qu’à qui ne la cherche pas.







    Et maintenant, un peu dans la même veine, un extrait du chapitre quatrième, qui évoque la cupidité intellectuelle et la nécessité de l’extirper pour pouvoir commencer vraiment l’ascension vers le sommet.







    “L’étrange structure géologique du continent lui valait la plus grande variété de climats et l’on pouvait, paraît-il, à trois jours de marche de Port-des-Singes, trouver d’un côté la jungle tropicale, d’un autre des pays glaciaires,

    • 9 min
    Pieds nus sur la terre sacrée : analogie, analyse, nature et domination

    Pieds nus sur la terre sacrée : analogie, analyse, nature et domination

    Un tableau de Jaider Esbell













    Dans un petit recueil intitulé Pieds nus sur la terre sacrée, Teresa Carolyn McLuhan a réuni des textes écrits ou prononcés par des Indiens d’Amérique entre le XVIIème et le XXème siècle.







    On y découvre des discours, des propos, des extraits de lettres, des morceaux d’entretiens, qui disent les relations entretenues par les Indiens avec la terre, les arbres, les plantes, les animaux, le ciel ; leur proximité avec la nature et le respect qu’ils avaient pour elle ; leur rencontre et leur rapport avec les Européens puis les néo-Américains, leur incompréhension mutuelle, l’immense malentendu qui les sépare.







    Il existe certainement de multiples raisons à ce malentendu. L’une d’elles me semble être l’approche contraire que les uns et les autres ont des choses, la tournure inversée d’esprit : les Indiens appréhendent le monde sur le mode de l’analogie ; les Européens sur celui de l’analyse. L’analogie discerne les correspondances, les identités partagées, les résonances chantées par Ralph Waldo Emerson, le sentiment océanique de Romain Rolland, l’esprit et la magie des lieux ; elle est naturellement animiste et respectueuse de l’unité de la Maison commune. L’analyse, quant à elle, repère les différences, distingue, décompose, voit la partie avant le tout et dans le tout voit la partie ; elle dénombre et démembre, et voit le territoire, le territoire charnel fait d’histoire et de liens, comme un espace.









    La terre a été créée avec l’aide du soleil et elle devrait être laissée telle quelle était… Le pays a été fait sans ligne de démarcation et ce n’est pas le rôle de l’homme de le diviser… Je vois les Blancs s’enrichir à travers tout le pays et je connais leur désir de nous donner des terres sans valeur… La terre et moi sommes du même esprit. La mesure de la terre et la mesure de nos corps sont les mêmes…Mais ne vous méprenez pas et comprenez bien la raison de mon amour pour la terre. Je n’ai jamais dit que la terre était mienne pour en user à ma guise.

    Chef Joseph, chef des Nez percés







    Entre Européens et Indiens, chacun voit et privilégie une partie de la réalité ; et chacun est le barbare, l’aveugle de l’autre. Mais la relation est cependant dissymétrique car l’esprit analytique, qui trie, classe, cherche les rapports et les causalités, est considérablement plus agile, plus productif, que ne l’est l’esprit analogique, qui ressent, vibre aux harmonies mais en reste quelque peu désemparé. Je me souviens, ainsi, d’être resté muet, un jour, sur la grande plage de Vierville, tandis que Katia me demandait d’expliquer pourquoi j’aimais tel ou tel tableau, ce dont j’étais totalement incapable…







    De cette capacité algorithmique à décomposer et à décrire le monde, les esprits analytiques tirent un profond sentiment de supériorité, que vient confirmer leur maîtrise incontestable des sciences et des technologies. Pas un seul instant, les Européens et les néo-Américains n’imaginent qu’ils aient, de leur côté, quelque chose à apprendre des Indiens ; cette hypothèse ne leur ...

    • 7 min
    La montagne magique (de Thomas Mann)

    La montagne magique (de Thomas Mann)

    Hans Castorp, un jeune Hambourgeois qui se destine à une carrière d’ingénieur naval, rend visite à son cousin, Joachim, soigné dans un sanatorium de Davos, en Suisse. Venu pour un séjour de trois semaines, il demeurera sept ans dans la montagne. Et c’est là, en haut, loin de la société et des préoccupations ordinaires, qu’il grandira, se découvrira, s’épanouira à la vie et au monde.







    La montagne magique est le récit de cette initiation.







    Un récit long, où le temps coule parfois lentement, au rythme de ces journées à la Shining, dans lesquelles tout est fait pour remplir de bruit et d’action le silence et la blancheur d’un monde neigeux et immobile ; et où parfois il s’accélère parce que quelque chose, soudain, se passe, avant d’être oublié, ou relégué dans la malle aux souvenirs, comme le sont, dans le vaste hôtel, les souvenirs des morts, leur chambre une fois désinfectée et laissée aux nouveaux arrivants.







    Il y a, au long de ces deux mille cinq cents journées passées à passer de goûter en souper, de séances de repos obligatoire en temps de pause avant dîner, des petites éducations, des petites leçons à la Bouvard et Pécuchet ; ces passions qui, pendant quelques jours ou quelques semaines, entraînent Hans ou l’ensemble des résidents dans leur ronde, focalisant leur attention sur un hobby, une science, un sport particulier, puis retombant pour renaître sous un autre avatar. Hans, dans ces moments, est particulièrement touchant, mettant toute son énergie à apprendre et à approfondir.







    Et puis il y a les cours magistraux. Moins les vrais cours sur l’amour du Docteur Krokowski que les cours sur le tas, les cours par frottement des esprits, des humeurs, des mots et des regards que donnent à Hans le franc-maçon Settembrini, le jésuite Naphta, la très belle et très orientale Clavdia Chauchat et l’étrange et fascinant Peeperkorn. L’une des grandes magies de la montagne est l’enseignement magistral recu de ce cotoiement, de cette ronde d’êtres si dissemblables dans laquelle Hans puise la déraison, cette admirable compréhension des choses qui lui permet de se hisser au dessus de ses maîtres.







    Ronde des jours, ronde des amitiés, ronde des thèses et des antithèses débattues par Settembrini et Naphta, ronde de la vie et de la mort, ronde de cet amour libérateur et mystérieux que dansent ensemble Clavdia et Hans. Ronde et spirale ; spirale plus que ronde, d’ailleurs, car tout cela s’élève, et le retour, jamais, n’est similaire à l’arrivée première. Même dans ce monde minéral, le temps coule et ne peut être retenu.







    Et maintenant, le beau portrait que dresse de lui-même Hans Castorp, ce “naïf et frêle enfant de la vie”, comme le surnomme Settembrini (traduction de Claire de Oliveira) :







    “Je suis depuis assez longtemps ici, en haut, je ne sais pas trop depuis combien de temps mais ce sont des années de ma vie. Voilà pourquoi j’ai employé le mot « vie » – quant à mon sort, j’y reviendrai, le moment venu. Moi qui croyais rendre une petite visite à mon cousin, ce brave militaire franc du collier, ça n’a servi à rien, je l’ai perdu, et je suis toujours ici. Je n’étais pas militaire, j’avais un métier de civil, vous l’avez peut-être entendu, un métier sérieux et raisonnable qui peut même, paraît-il, œuvrer au rapprochement des peuples ; mais cette profession, je n’y tenais pas particulièrement, je l’avoue, pour des raisons dont je dirai seulement qu’elles sont obscures… Tout comme les prémices des sentim...

    • 5 min
    L’équilibre (ou la quatrième vision d’Hildegarde)

    L’équilibre (ou la quatrième vision d’Hildegarde)

    Il devait en avoir, de la patience et de l’amour, Volmar, pour tenter de suivre, de décrire et de mettre en bon latin les visions d’Hildegarde, pour tenter d’ordonner, de canaliser comme dit l’autre, ce qui devait ressembler à un débordement sauvage et irrépressible.







    La quatrième vision du Livre des oeuvres divines, d’Hildegarde de Bingen, commence, comme les autres, par la description d’une image perçue par l’abbesse : “Je vis le firmament et toutes ses dépendances”. Mais très vite, l’image s’anime, se déploie, et la description, comme dans un rêve, se focalise sur un détail, puis un autre, puis délaisse l’image pour devenir récit : “nombreux étaient ceux qui encouraient bien des maladies, et légion ceux que la mort frappait.” Et dès la deuxième page, à la description initiale, se substitue la retranscription d’un discours, celui que livre une “voix du ciel” qui explique à Hildegarde la signification de ce qu’elle voit.







    L’essentiel de la vision consiste en cela : en ce commentaire d’une image complexe que Dieu dicte à Hildegarde, que Hildegarde retranscrit à Volmar, et que celui met par écrit et en bon latin.







    La quatrième vision (Manuscrit de Lucques) – (c) Utpictura18





    Le commentaire, comme l’image, est une profusion d’idées qui s’enchaînent et rebondissent les unes contre les autres, dessinant un patchwork qu’il est impossible de résumer. Ce n’est pas une thèse, ce n’est pas un plaidoyer, ce ne sont pas des confessions, c’est comme une explication, une description du monde, une cosmogonie où l’univers, le monde, les planètes, les vents, les animaux sont autant de symboles, de moyens, de la pensée divine : voici ce que j’ai voulu faire, voici pourquoi j’ai fait cela. Dieu raconte sa création.







    Au cœur de la Création, la résumant tout entière, il y a l’homme ; l’homme qui ne fut pas toujours cela mais qui, après sa chute, a succédé à Lucifer comme héros de la Création.







    C’est de cette succession, et de l’opposition entre les humains et l’archange porteur de lumière que traite notamment la Quatrième vision : l’homme, ce microcosme en qui la Création converge et qui en constitue l’achèvement, a pour vertu fondamentale le discernement, cette qualité de tempérance, d’équilibre qui s’oppose à l’excès, à l’orgueil, de Lucifer :







    “L’âme aime en tout le discernement. Chaque fois que le corps de l’homme agit d’une quelconque manière sans discernement, en mangeant, en buvant, les énergies de l’âme s’en trouvent brisées. Toutes les actions doivent respecter ce discernement : l’homme ne peut toujours s’occuper du ciel. Une canicule exagérée brise la terre, des pluies excessives empêchent le lever de la semence, la terre ne produit des germes utiles que dans une juste conjonction de la chaleur et de l’humidité : de même c’est une juste tempérance qui garantit l’ordonnance et l’exécution, dans un bon discernement, de toutes les œuvres, célestes aussi bien que terrestres. C’est ce discernement que le diable a refusé et qu’il refuse encore, lui qui n’aspire qu’à des hauteurs ou à des profondeurs excessives : aussi ne se releva-t-il point de sa chute.”







    Par orgueil, Lucifer a voulu égaler ou dépasser Dieu dans le bien ; et c’est...

    • 5 min
    Le deuxième sexe (de Simone de Beauvoir)

    Le deuxième sexe (de Simone de Beauvoir)

    Je ne sais qui, parmi toutes celles et ceux qui en parlent, a lu vraiment, intégralement, Le deuxième sexe, de Simone de Beauvoir, ces presque mille pages réparties en deux tomes distincts.







    Pour l’avoir fait, je puis dire que c’est un livre extraordinaire : on est – je suis – stupéfait par la culture, l’intelligence, la sensibilité, la finesse que déploie l’autrice ; par l’audace et la fermeté de son propos ; par la façon dont, chapitre après chapitre, comme le temps dépose ses sédiments, elle construit ce palimpseste riche, profond, épais, bourré de vie et de contradictions, le portrait fantastique de cette situation qu’est la femme.







    Au cœur de l’humanité, il y a la relation à la nature et la relation homme-femme : le travail, la sexualité, la reproduction, et toutes les harmoniques, les échos, les reflets que l’esprit, la psychologie et l’imagination peuvent échafauder et tresser à partir de ces éléments de base. Parce qu’elle porte en elle l’ovule et l’enfant alors que l’homme éjecte hors de lui le spermatozoïde, la femme est assignée à son corps, “subordonnée à l’espèce“, aliénée à la nature, comme l’homme, fonctionnellement, prend son essor et l’affronte. Cette asymétrie biologique peut évidemment être niée ou, mieux : dépassée ; elle fonde en tout état de cause une différenciation fondamentale entre les deux sexes.







    De ce sol biologique, de ce Destin, pour reprendre le titre de la première partie du premier tome (lui-même intitulé Les faits et les mythes) naissent des rôles et des attributions fondamentales : à la femme revient le lien avec la nature, les cycles, l’humide, le familier ; à l’homme, celui avec le travail, l’aventure, la rupture, la domination de la nature. Mais de ces attributions ne découle pas une traduction historique claire. L’histoire des femmes, objet de la deuxième partie (Histoire), est une suite chaotique de bouleversements où alternent et coexistent des états et conditions tout à fait différentes : les femmes furent souvent reléguées, écrasées par le pouvoir mâle, mais s’il y eut incontestablement des servantes, des esclaves et des ouvrières, il y eut aussi, et à tous les moments, des grandes prêtresses, des reines, des impératrices, des abbesses, des artistes. Aucun mouvement de fond ne semble se dégager de cette longue histoire – hormis le fait, que relève justement Beauvoir, du célibat de la majorité de ces femmes d’exception. Et se dégage un constat : “ce n’est pas l’infériorité des femmes qui a déterminé leur insignifiance historique ; c’est leur insignifiance historique qui les a vouées à l’infériorité.”.







    La troisième partie, Mythes, est une mise à nu, ou plutôt un descriptif, du mythe féminin, de cette construction rayonnante, pleine de magie et de mystère, qui enserre les femmes dans un rôle et une fonction, une nature, une attente, mais celles-ci si diverses, polysémiques, contradictoires qu’elles dessinent plus un idéal, évidemment inaccessible, une étoile mystique, qu’une réelle espérance :







    “Dalila et Judith, Aspasie et Lucrèce, Pandore et Athéné, la femme est à la fois Ève et la vierge Marie. Elle est une idole, une servante, la source de la vie, une puissance des ténèbres ; elle est le silence élémentaire de la vérité, elle est artifice, bavardage et mensonge ; elle est la guérisseuse et la sorcière ; elle est la proie de l’homme, elle est sa perte, elle est tout ce qu’il n’est pas et qu’il veut avoir, sa négation et sa raison d’être.”.







    Beauvoir se moque des hommes qui ont la faiblesse de se laisser aller à ces c...

    • 20 min
    La pêche du jour (d’Eric Fottorino)

    La pêche du jour (d’Eric Fottorino)

    “Le Yéménite est plus fin que la bonite” : c’est de cette rime, qui pourrait être tirée d’une comptine pour petits ogres, qu’Eric Fottorino est parti, en juin dernier, pour écrire La pêche du jour, petit texte cinglant à la lecture théâtrale duquel j’ai assisté, hier soir, à Normale Sup.







    Jacques Weber et Lola Blanchard étaient les lecteurs-interprètes et, à l’issue de la lecture, fut organisé, sous la direction de Leila Vignal, directrice du département de géographie, un échange entre l’auteur et deux élèves membres de l’association MigrENS, qui aide des réfugiés en leur donnant des cours de Français et en les accompagnant dans leurs démarches administratives. François Thomas, président de SOS Méditerranée France, à qui toutes les recettes du spectacle sont reversées, prit également la parole.







    Le texte d’Eric Fottorino est une fable, ou une farce, cruelle. Mais le plus cruel réside dans le fait que la réalité qu’il dénonce est déjà intrinsèquement si terrible que l’amplification passe presque inaperçue : l’horreur vraie est déjà telle que l’exagération qui y est ajoutée ne change pas significativement la donne : oui, dans la réalité, on ne pêche ni ne mange les migrants ; on ne compare pas la chair du Yéménite à celle de la bonite. Mais le plus important, dans l’affaire, est-il ce qu’on fait des morts ou ce qu’on fait pour que les vivants ne meurent pas ?







    Un pêcheur donc, installé à Mytilène, dans l’île de Lesbos où il était professeur d’humanisme avant que l’université ne ferme. Mais il faut bien vivre ; il s’est reconverti dans la pêche : la pêche classique, d’abord, à la palangrotte ; puis la pêche aux migrants quand est venu le temps des grandes migrations, de ces grands bancs qui s’échouent là, venus de la Turquie voisine.







    Un brave homme, une sorte de Créon. Il sait ce que son activité a de détestable et ne se fait pas d’illusion mais aussi qu’il rend service à tout le monde et qu’on lui est reconnaissant de faire le sale boulot. Et d’ailleurs, ce qu’il fait est-il si détestable ? Quel destin pour les réfugiés échappés aux périls du voyage, à la traversée, aux trafiquants, aux camps de transit, aux jungles ? Rejetés, soupçonnés, déplacés, parqués, expulsés, leur sort n’est guère enviable et ceux qui les aident tombent sous le coup d’un délit de solidarité créé pour l’occasion.







    De tout cela, le monde et l’opinion déjà se sont émus. Puis le temps a passé. Puis on a oublié. Le corps du petit Aylan Kurdi retrouvé sur une plage turque, c’était en 2015. De l’eau a coulé sous les ponts, d’autres drames sont venus, d’autres catastrophes se sont ajoutées à la pile.







    Il faut, pour retenir à nouveau notre attention, renouveler le genre, surprendre. La création littéraire permet ça, observa Eric Fottorino. Mais c’est aussi qu’on monte en gamme dans l’horreur : un peu de cannibalisme ajoute du piquant à ces histoires ressassées et un peu ennuyeuses.







    Et tout ça pour quoi ? Reflétant les propos désabusés du pêcheur, le témoignage des deux militants de MigrENS disait bien la difficulté du parcours d’après : difficulté à aider, difficulté à apprendre quand on est occupé à survivre, qu’on est chassé d’un lieu à un autre,

    • 7 min

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