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04 - Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'Europe : L'histoire a priori : Les leçons d'Oswald Spengler L'invention de l'Europe par les langues et les cultures (2023-2024) - Peter Sloterdijk

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Peter Sloterdijk
L'invention de l'Europe par les langues et les cultures
Collège de France
Année 2023-2024

04 - Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'Europe : L'histoire a priori : Les leçons d'Oswald Spengler

Peter Sloterdijk
Recteur de l'université des Arts et du Design de Karlsruhe, professeur invité du Collège de France

Résumé

Avec la parution du premier tome de la monumentale étude de Spengler Le Déclin de l'Occident – Esquisse d'une morphologie de l'histoire universelle (Der Untergang des Abendlandes. Umrisse einer Morphologie der Weltgeschichte, aux éditions munichoises C. H. Beck Verlag, en 1917), les tentatives menées par les historiens et philosophes européens pour définir « l'essence » de leur propre époque ont atteint un nouveau palier. En employant la « méthode morphologique », qu'il affirme avoir tirée de l'étude des considérations de Goethe en sciences de la nature, l'auteur estime être en mesure de représenter pour la première fois les processus historiques sous une forme non seulement rétrospective, mais aussi prospective.

L'immense écho que suscita cette œuvre donne en quelque sorte un profil philosophique aux secousses que la Première Guerre mondiale avait imprimées aux nations européennes.

À l'ombre des débats sur Spengler s'est déployée une réalité chargée d'une ironie amère : une futurologie à habillage scientifique a débouché sur le déclinisme érudit. La théorie de la décadence » ne se présentait plus seulement comme une récrimination relevant de la critique culturelle, telle qu'elle était devenue épidémique à partir du XIXe siècle, – récrimination portant sur le matérialisme croissant, la décivilisation en marche, la désagrégation de la famille, le refoulement de la religion chrétienne, etc. – mais comme une prétendue vision sur un processus de civilisation chargé des caractéristiques d'une loi fatale et suprapersonnelle. Ce que l'on continuait à appeler « l'Occident » – souvent avec un pathos guerrier – se révèle être le foyer d'un changement de climat mental fatidique :

Ce qu'était l'ancienne Europe devient alors un théâtre d'opérations de guerre pour les formations rhétoriques intenses : y manœuvrent, outre le progressisme révolutionnaire des mouvements d'inspiration marxiste, aussi bien le pessimisme héroïque d'une pensée portant des traits préfascistes que l'aristocratisme artificiel de la Révolution conservatrice.

Nota bene : Alors qu'après 1945 l'Allemagne s'est plutôt vouée à une trajectoire fondée sur l'optimisme culturel, des fragments de l'impulsion donnée par Spengler ont acquis un droit de cité persistant dans les divers modes du déclinisme (exemple actuel : le roman de Michel Houellebecq Soumission).

Peter Sloterdijk
L'invention de l'Europe par les langues et les cultures
Collège de France
Année 2023-2024

04 - Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'Europe : L'histoire a priori : Les leçons d'Oswald Spengler

Peter Sloterdijk
Recteur de l'université des Arts et du Design de Karlsruhe, professeur invité du Collège de France

Résumé

Avec la parution du premier tome de la monumentale étude de Spengler Le Déclin de l'Occident – Esquisse d'une morphologie de l'histoire universelle (Der Untergang des Abendlandes. Umrisse einer Morphologie der Weltgeschichte, aux éditions munichoises C. H. Beck Verlag, en 1917), les tentatives menées par les historiens et philosophes européens pour définir « l'essence » de leur propre époque ont atteint un nouveau palier. En employant la « méthode morphologique », qu'il affirme avoir tirée de l'étude des considérations de Goethe en sciences de la nature, l'auteur estime être en mesure de représenter pour la première fois les processus historiques sous une forme non seulement rétrospective, mais aussi prospective.

L'immense écho que suscita cette œuvre donne en quelque sorte un profil philosophique aux secousses que la Première Guerre mondiale avait imprimées aux nations européennes.

À l'ombre des débats sur Spengler s'est déployée une réalité chargée d'une ironie amère : une futurologie à habillage scientifique a débouché sur le déclinisme érudit. La théorie de la décadence » ne se présentait plus seulement comme une récrimination relevant de la critique culturelle, telle qu'elle était devenue épidémique à partir du XIXe siècle, – récrimination portant sur le matérialisme croissant, la décivilisation en marche, la désagrégation de la famille, le refoulement de la religion chrétienne, etc. – mais comme une prétendue vision sur un processus de civilisation chargé des caractéristiques d'une loi fatale et suprapersonnelle. Ce que l'on continuait à appeler « l'Occident » – souvent avec un pathos guerrier – se révèle être le foyer d'un changement de climat mental fatidique :

Ce qu'était l'ancienne Europe devient alors un théâtre d'opérations de guerre pour les formations rhétoriques intenses : y manœuvrent, outre le progressisme révolutionnaire des mouvements d'inspiration marxiste, aussi bien le pessimisme héroïque d'une pensée portant des traits préfascistes que l'aristocratisme artificiel de la Révolution conservatrice.

Nota bene : Alors qu'après 1945 l'Allemagne s'est plutôt vouée à une trajectoire fondée sur l'optimisme culturel, des fragments de l'impulsion donnée par Spengler ont acquis un droit de cité persistant dans les divers modes du déclinisme (exemple actuel : le roman de Michel Houellebecq Soumission).

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