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Un dépôt d’or pur (Simone Weil‪)‬ Aldor (le podcast)

    • Journaux personnels

Dans une lettre à ses parents datée du 18 juillet 1943 (lettre qu’on trouvera plus bas dans son intégralité), Simone Weil parle de la certitude intérieure croissante qu’elle éprouve qu’il se trouve en elle un “dépôt d’or pur qui est à transmettre” ; que c’est un bloc massif, qui croît avec le temps et l’expérience, qui ne peut être distribué par petits morceaux ; que certains, autour d’elle, le sentent confusément, soulignent son intelligence mais se refusent cependant à l’effort d’attention qui permettrait de recevoir le bloc tout entier ; alors ils disent : “C’est très intéressant” et puis passent à autre chose.







Ce passage (lu dans l’enregistrement joint) est étonnant et énigmatique ; de quoi parle-t-elle ?













Les esprits mystiques, au premier rang desquels Marie-Madeleine Davy*, voient dans ce passage une sorte de Coming out, de confession spirituelle dans laquelle Simone Weil tenterait d’expliquer à sa mère (car c’est à elle que ce propos précisément s’adresse) la conviction d’avoir trouvé au fond d’elle-même, de son intériorité, le trésor de lumière, la transparence, la flamme, Dieu. Compte tenu de la personnalité de Simone Weil, de ses convictions, un tel aveu aurait du sens. Mais il serait bien impudique venant de la si pudique Simone Weil, qui n’a pas l’habitude des grandes démonstrations, surtout dans ces matières. Et pourquoi est-ce à sa mère que cet aveu serait destiné ?







Deux semaines plus tard, le 4 août 1943, Simone Weil revient sur ce même sujet dans une autre lettre à ses parents mais elle le fait dans un passage un peu décousu, relatif aux fous, qui n’éclaire pas beaucoup notre lanterne même si peut-être y transparaît, plus sans doute que la première fois, un certain désespoir :







“Quand j’ai vu Lear ici, je me suis demandé comment le caractère intolérablement tragique de ces fous n’avait pas sauté aux yeux des gens (y compris les miens) depuis longtemps. Leur tragique ne consiste pas dans les choses sentimentales qu’on dit parfois à leur sujet ; mais en ceci :En ce monde, seuls des êtres tombés au dernier degré de l’humiliation, loin au-dessous de la mendicité, non seulement sans considération sociale, mais regardés par tous comme dépourvus de la première dignité humaine, la raison – seuls ceux-là ont en f ait la possibilité de dire la vérité. Tous les autres mentent.Dans Lear, c’est frappant. Même Kent et Cordelia atténuent, mitigent, adoucissent, voilent la vérité, louvoient avec elle, tant qu’ils ne sont pas forcés ou de la dire ou de mentir carrément.Je ne sais pas ce qu’il en est des autres pièces, que je n’ai ni vues ni relues ici (sauf 12th Night). Darling M., si tu relisais un peu Sh. avec cette pensée, tu y verrais peut-être des aspects nouveaux.L’extrême du tragique est que, les fous n’ayant ni titre de professeur ni mitre d’évêque, personne n’étant prévenu qu’il faille accorder quelque attention au sens de leurs paroles – chacun étant d’avance sûr du contraire, puisque ce sont des fous – leur expression de la vérité n’est même pas entendue. Personne, y compris les lecteurs et spectateurs de Sh. depuis quatre siècles, ne sait qu’ils disent la vérité. Non des vérités satiriques ou humoristiques, mais la vérité tout court. Des vérités pures, sans mélange, lumineuses, profondes, essentielles.

Dans une lettre à ses parents datée du 18 juillet 1943 (lettre qu’on trouvera plus bas dans son intégralité), Simone Weil parle de la certitude intérieure croissante qu’elle éprouve qu’il se trouve en elle un “dépôt d’or pur qui est à transmettre” ; que c’est un bloc massif, qui croît avec le temps et l’expérience, qui ne peut être distribué par petits morceaux ; que certains, autour d’elle, le sentent confusément, soulignent son intelligence mais se refusent cependant à l’effort d’attention qui permettrait de recevoir le bloc tout entier ; alors ils disent : “C’est très intéressant” et puis passent à autre chose.







Ce passage (lu dans l’enregistrement joint) est étonnant et énigmatique ; de quoi parle-t-elle ?













Les esprits mystiques, au premier rang desquels Marie-Madeleine Davy*, voient dans ce passage une sorte de Coming out, de confession spirituelle dans laquelle Simone Weil tenterait d’expliquer à sa mère (car c’est à elle que ce propos précisément s’adresse) la conviction d’avoir trouvé au fond d’elle-même, de son intériorité, le trésor de lumière, la transparence, la flamme, Dieu. Compte tenu de la personnalité de Simone Weil, de ses convictions, un tel aveu aurait du sens. Mais il serait bien impudique venant de la si pudique Simone Weil, qui n’a pas l’habitude des grandes démonstrations, surtout dans ces matières. Et pourquoi est-ce à sa mère que cet aveu serait destiné ?







Deux semaines plus tard, le 4 août 1943, Simone Weil revient sur ce même sujet dans une autre lettre à ses parents mais elle le fait dans un passage un peu décousu, relatif aux fous, qui n’éclaire pas beaucoup notre lanterne même si peut-être y transparaît, plus sans doute que la première fois, un certain désespoir :







“Quand j’ai vu Lear ici, je me suis demandé comment le caractère intolérablement tragique de ces fous n’avait pas sauté aux yeux des gens (y compris les miens) depuis longtemps. Leur tragique ne consiste pas dans les choses sentimentales qu’on dit parfois à leur sujet ; mais en ceci :En ce monde, seuls des êtres tombés au dernier degré de l’humiliation, loin au-dessous de la mendicité, non seulement sans considération sociale, mais regardés par tous comme dépourvus de la première dignité humaine, la raison – seuls ceux-là ont en f ait la possibilité de dire la vérité. Tous les autres mentent.Dans Lear, c’est frappant. Même Kent et Cordelia atténuent, mitigent, adoucissent, voilent la vérité, louvoient avec elle, tant qu’ils ne sont pas forcés ou de la dire ou de mentir carrément.Je ne sais pas ce qu’il en est des autres pièces, que je n’ai ni vues ni relues ici (sauf 12th Night). Darling M., si tu relisais un peu Sh. avec cette pensée, tu y verrais peut-être des aspects nouveaux.L’extrême du tragique est que, les fous n’ayant ni titre de professeur ni mitre d’évêque, personne n’étant prévenu qu’il faille accorder quelque attention au sens de leurs paroles – chacun étant d’avance sûr du contraire, puisque ce sont des fous – leur expression de la vérité n’est même pas entendue. Personne, y compris les lecteurs et spectateurs de Sh. depuis quatre siècles, ne sait qu’ils disent la vérité. Non des vérités satiriques ou humoristiques, mais la vérité tout court. Des vérités pures, sans mélange, lumineuses, profondes, essentielles.

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