Myawaddy. Ce nom ne dit sans doute rien à la plupart des Français. Pourtant, cette ville frontalière de la Birmanie s'est imposée comme le cœur battant d’une industrie florissante : l’arnaque en ligne à l’échelle mondiale. Là-bas, d’immenses centres de cyberfraude sont dirigés par des seigneurs de guerre, exploitant des milliers de travailleurs forcés pour escroquer des victimes à travers le monde. Le documentariste chinois Wu Dong, qui enquête sur place, décrit un système bien rodé où ces travailleurs, souvent recrutés sous de faux prétextes ou kidnappés, sont contraints d’opérer des fraudes sophistiquées. Si la Chine reste la principale cible, l’Europe et l’Occident sont désormais dans le viseur, selon Courrier International. L’affaire a pris une dimension médiatique début janvier, lorsque Wang Xing, un acteur chinois, a été attiré par une fausse offre de tournage en Thaïlande. Une fois sur place, il est enlevé, clandestinement transporté à Myawaddy et forcé de travailler dans l’un de ces centres. Son sauvetage rapide, grâce à la police thaïlandaise alertée par sa compagne, reste une exception. Pendant ce temps, 174 familles chinoises cherchent toujours désespérément leurs proches disparus dans des circonstances similaires. Face au scandale, le colonel Saw Chit Thu, commandant d’une milice locale, a menacé d’exécuter les trafiquants d’êtres humains. Non pas par souci de justice, mais par crainte que l’affaire ne perturbe ce commerce lucratif sous contrôle des chefs de guerre locaux. Si ces fraudes existaient déjà, elles ont pris une ampleur inédite. Les centres de Myawaddy recrutent désormais des diplômés en master et doctorat pour concevoir des escroqueries hautement ciblées. Et avec l’essor de l’intelligence artificielle, les techniques de fraude atteignent un niveau effrayant. Imaginez : un parent reçoit un appel vidéo de son enfant demandant de l’aide. Sa voix, ses intonations, son visage sont parfaitement identiques… sauf qu’il ne s’agit que d’une imposture générée par IA. Cette montée en puissance exige des cybercriminels de plus en plus qualifiés. À son apogée, Myawaddy comptait 70 complexes, employant des milliers de personnes. Aujourd’hui, une dizaine de centres imposants subsistent, soigneusement isolés des zones habitées, le long de la rivière frontalière, prêts à être évacués en cas de danger. Mais derrière ces criminels, il y a des histoires humaines. Dans son enquête, Wu Dong révèle une dualité troublante : certains escrocs pratiquent le hameçonnage sentimental le jour et envoient de tendres messages à leurs propres compagnes le soir. Un autre exemple frappant : un garçon de 16 ans, issu d’une famille pauvre du Jiangxi, d’abord recruté pour faire de la contrebande, s’est formé seul aux techniques de phishing. Son rêve ? Trouver une famille aimante et un “grand frère” pour le guider. Et plus surprenant encore : beaucoup d’arnaqueurs sont croyants. Ils prient Bouddha, visitent les temples et envoient des dons à leurs villages natals, tout en ruinant des familles à l’autre bout du monde. Ce paradoxe en dit long sur la réalité derrière cette industrie : une misère économique qui pousse à voir la fraude comme un simple moyen de survie. Tant que la pauvreté et le manque de perspectives domineront, Myawaddy restera la capitale mondiale de la cyberfraude. Hébergé par Acast. Visitez acast.com/privacy pour plus d'informations.