Littératures comparées - William Marx

Littératures comparées - William Marx

La littérature est un fait universel, d'extension mondiale et d'envergure transhistorique, quoique sous des modalités extrêmement diverses : l'étude de ses variations est l'objet de cette chaire, dans la lignée des enseignements de littérature comparée apparus en Europe et en Amérique dès le XIXe siècle. Lecture de textes de toutes origines et de tout statut, analyses littéraires et indispensables mises en contexte sont mises au service de ce voyage immobile et du dépaysement qui l'accompagne. L'exercice de l'admiration n'y est pas non plus interdit. L'objectif est d'entrouvrir la porte de la bibliothèque mondiale et d'en parcourir quelques rayonnages afin de faire de nous des lecteurs sans limite, capables de lire par-delà la littérature, en nous dégageant de notre propre historicité, selon un processus de défamiliarisation. Car c'est en réalité la notion même de littérature qui fait problème, avec tout ce qu'elle implique de présupposés et d'usages historiquement datés et géographiquement localisés : en gros, l'Europe des deux derniers siècles. C'est pourquoi l'intitulé de la chaire a été mis au pluriel, et il y est proposé l'étude non pas de la, mais des littératures, dont il convient de postuler d'abord la diversité, non seulement linguistique, mais culturelle et anthropologique. Les recherches de la chaire Littératures comparées portent ainsi sur l'évolution, dans la longue durée, des systèmes esthétiques et du statut de la littérature depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours ainsi que sur leur variation selon les cultures, avec des travaux portant entre autres sur la tragédie grecque, le nô japonais et les littératures asiatiques, l'humanisme médiéval et renaissant, les Lumières, les arts classiques et romantiques, le modernisme européen et la littérature contemporaine. La critique génétique et l'édition de manuscrits sont aussi mises à contribution, avec des travaux notamment sur Paul Valéry et T. S. Eliot.

  1. 19 MAR

    09 - Comment lire ? - La contre-société des lecteurs

    William Marx Littératures comparées Collège de France Année 2023-2024 09 - Comment lire ? La contre-société des lecteurs Résumé Toute théorie de l'interprétation doit partir de l'expérience naïve et empirique : ce que le critique américain Michael Warner appelle uncritical reading, la lecture non critique et non professionnelle du lecteur standard. Il faut partir de l'attachement aux livres, qui justifie qu'on aie envie de lire. L'étude de la littérature a ceci en effet de particulier qu'elle se fonde sur un plaisir sensible. Or, les plaisirs et les intérêts de la lecture sont multiples et hétérogènes. Ils vont dans tous les sens. Dans le régime moderne de la littérature, l'autonomie de la lecture fait de celle-ci une occupation fondamentalement solitaire et asociale. Chacun y suit son bon plaisir. Pascal Quignard parle d'une « "société inassociée" des lecteurs ». La force d'individuation de la lecture est telle qu'elle est capable de provoquer une dissociation à l'intérieur de la personne, l'épreuve de cette dissociation étant la relecture : le texte lu dans l'enfance provoque à l'âge adulte des émotions et des jugements différents. Montaigne et Proust témoignent, chacun à sa manière, de l'incommensurabilité entre la valeur d'un texte et le plaisir qu'il donne. En tant qu'expérience du sensible, le livre se fait le révélateur de la pluralité des moi et du passage du temps.

    1h 6m
  2. 6 MAR

    Conférence - Masanori Tsukamoto : Les recherches sur le rêve chez Valéry, Proust et Myōe

    William Marx Littératures comparées Collège de France Année 2023-2024 Conférence - Masanori Tsukamoto : Les recherches sur le rêve chez Valéry, Proust et Myōe Intervenant(s) : Masanori Tsukamoto Professeur à l'Institut des sciences humaines et sociales, université de Tokyo Résumé Lorsque les Cahiers de Valéry (1957-1961) ont été publiés bien après sa mort, on s'était étonné d'y trouver de nombreuses notes sur le rêve. Les allusions aux rêves, fragmentaires et sporadiques dans son œuvre, semblaient suggérer que l'écrivain avait adopté une attitude plutôt froide à l'égard de ce phénomène et avait même délibérément évité d'y réfléchir. Les notes volumineuses sur le rêve, pleines de développements contradictoires mais dotées d'une persistance inusitée, ont révélé que Valéry était en fait non seulement un explorateur de la théorie des rêves, mais aussi un poète qui cherchait à intégrer la puissance des rêves dans sa poétique. En lisant ses analyses sur le rêve, nous nous rendons compte que dans la première moitié du XXe siècle, il y avait une recherche sur le sommeil et le rêve très différente de celle de Freud. On le constate surtout lorsque l'on compare la recherche valéryenne avec celle menée par Proust. Dans cette conférence, je voudrais mettre en lumière l'enjeu de cet intérêt pour le sommeil et le rêve chez Valéry et Proust. À la fin de l'exposé, j'invoquerai le Journal des rêves de Myōe (1173-1232), moine bouddhiste japonais de l'époque de Kamakura. Son journal des rêves est très lu au Japon et continue à inspirer des romanciers et des psychanalystes. Je citerai Myōe pour relativiser le point de vue établi par la double lecture de Valéry et de Proust. Quel est donc l'enjeu des études de Valéry sur le rêve ? Il consiste non pas à sonder le passé enfoui dans la mémoire, mais à transformer la conception même du présent en y introduisant une forme de conscience radicalement différente de la conscience éveillée. Notons que Valéry a considéré le rêve comme une forme de conscience, et non pas comme une manifestation de l'inconscient. La « conscience sous le sommeil » a pourtant quelque chose d'étrange, parce que, dès le réveil, on ne peut plus la reconstruire telle quelle. Nous ne connaissons le rêve qu'à travers le souvenir et le récit, souvent défigurés et défaillants, qui ne sont pas selon Valéry des moyens fiables pour examiner le phénomène. D'où cette observation constante dans les cahiers : « Le rêve est le phénomène que nous n'observons que pendant son absence. Le verbe rêver n'a presque pas de "présent". » (C, V, 351) Peut-on saisir le rêve dans son état naissant, tout en gardant une conscience lucide ? Est-il possible de construire un rêve en étant éveillé ?

    1h 3m

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