02 - La dynamique cognitive - Concept et conception
François Recanati Philosophie du langage et de l'esprit Collège de France Année 2024-2025 02 - La dynamique cognitive - Concept et conception Intervenant(s) : François Recanati Professeur du Collège de France - Philosophie du langage et de l'esprit Résumé : Dans la représentation à laquelle nous aboutissons, les concepts sont comme des « nœuds » dans un réseau conceptuel, et les relations entre les nœuds représentent non seulement les implications analytiques des concepts – le fait que le rouge soit une couleur, ou que les célibataires soient non mariés – mais aussi les liaisons contingentes qui s'établissent entre concepts au niveau du savoir encyclopédique – le fait que les tomates mûres soient rouges, et les célibataires moins casaniers que les gens mariés, par exemple. Si l'on met dans le contenu d'un concept tout ce que nous savons ou croyons savoir concernant les objets qui tombent sous le concept, et si l'on maintient l'idée que le contenu d'un concept est ce qui fait qu'il est le concept qu'il est, alors on doit accepter qu'à chaque fois qu'une modification de notre savoir encyclopédique sur les objets en question survient, on change de concept – un concept est substitué à un autre. Cette conséquence est inacceptable, car elle met en danger une propriété fondamentale des concepts : leur stabilité. En tant que constituants des pensées, les concepts sont essentiellement combinables. Parce qu'ils sont essentiellement combinables, les concepts doivent être répétables : le même concept doit pouvoir apparaître dans plusieurs pensées distinctes, combiné avec divers autres concepts. Cette répétabilité du concept est exploitée dans le raisonnement, tant théorique que pratique. Un concept doit rester le même aussi d'un sujet à l'autre pour qu'il puisse y avoir discussion rationnelle et accord ou désaccord : le désaccord entre deux personnes implique un partage des pensées (pour une seule et même pensée, un sujet la tient pour vraie et l'accepte, alors que l'autre la rejette), et donc la stabilité interpersonnelle des concepts qui sont les constituants de ces pensées. De la même façon, le changement d'avis d'une seule et même personne requiert le partage des pensées, et donc des concepts, entre la personne qui juge aujourd'hui que P et la personne qu'elle a été antérieurement et qui, elle, jugeait que non P. Pour sauvegarder la stabilité, tant intra- qu'interpersonnelle, des concepts, tout en maintenant la conception encyclopédique du contenu des concepts, il faut renoncer à l'idée que le contenu d'un concept est ce qui fait qu'il est le concept qu'il est. Il faut distinguer le concept et le contenu du concept (la « conception »). Le concept est indépendant de la conception, au sens où la conception peut changer, même radicalement, sans qu'on cesse pour autant de déployer le même concept. Lorsque nous changeons d'avis sur un sujet donné, notre conception change, mais le concept reste stable. Cela signifie que l'identité d'un concept n'est pas fonction de son contenu, mais d'autre chose. De quelle autre chose s'agit-il ? Selon la thèse « référentialiste », ce qui permet d'individualiser un concept, ce qui en fait le concept qu'il est, ce n'est pas le contenu du concept mais sa référence, c'est-à-dire ce dont le concept est le concept. Deux concepts sont le même si et seulement s'ils se rapportent à la même chose.