Fascination (hypnotique) pour l’intelligence
(c) Boris Eldagsen et DALL-E2, Pseudomnesia, The Electrician L'intelligence nous fascine : nous sommes admiratifs, à juste titre, devant notre ingéniosité, notre créativité, notre habileté collective à imaginer, penser, concevoir, créer, notre capacité à peindre des fresques, tourner des bols, fabriquer des montres, des briquets, des moteurs, construire des avions, des téléphones et des bateaux, écrire des livres, bâtir des huttes, construire des villes et des palais. En dépit de tous nos défauts, et ils sont légion, nous sommes tellement, tellement smarts et ingénieux, tellement pleins de ressources, tellement admirables ! Il n'y a probablement jamais eu d'espèce animale si fière, si extasiée d'elle-même et de ses œuvres, cela sans préjudice de la conscience générale, intime et dépourvue du moindre doute que nous avons de nos faiblesses, de nos imperfections, et peut-être même de nos vices. Notre intelligence nous fascine, à juste titre, et de là vient aussi notre fascination pour l'intelligence artificielle, cette intelligence au carré que nous avons créée et dont nous découvrons, chaque jour, avec émerveillement et effroi, les prodiges et les progrès. Il y avait, l'autre jour, à Normale Sup, une conférence à ce propos. Mitchell Baker, chairwoman de Mozilla, Arthur Mensch, patron de Mistral AI, et Anne Bouverot, grande maîtresse du sommet sur l'intelligence artificielle qui se tiendra en février prochain à Paris, discutaient de la création d'une IA ouverte, libre au sens des logiciels libres, qui mettrait à disposition de tous données et algorithmes, permettant à tous de les enrichir et de les adapter. Je pensais, écoutant ces orateurs qui ne partageaient pas forcément les mêmes vues mais avaient en commun leur intelligence grande et vivace ; je pensais à cette observation que le narrateur d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs glisse en évoquant M. de Norpois : "Sauf chez quelques illettrés du peuple et du monde, pour qui la différence des genres est lettre morte, ce qui rapproche, ce n'est pas la communauté des opinions, c'est la consanguinité des esprits.". C'était bien la consanguinité des esprits, l'agréable impression d'être du même monde, de parler d'égal à égal, qui, ce soir là, plus que la communauté des opinions, rapprochait les orateurs. Et j'ai le sentiment que c'est le même élan un peu ireffréné, qui nous pousse, comme hypnotisés, vers l'intelligence artificielle, cette chose qui, parce qu'elle est comme nous capable de créer, est encore plus captivante qu'une machine à vapeur ou une robe de grand couturier, et s'approche effectivement de l'intelligence, cette chose qui, plus encore que la beauté, nous fascine. Il y a, de fait, en dépit de tout ce qui plaide contre elle, mille excellentes raisons de s'intéresser à l'I.A. Mais prenons garde à notre fascination atavique pour l'intelligence, à la séduction du malin, à notre tendance à placer l'intelligence au-dessus de tout. Elle ne le mérite sans doute pas. On pourra se renseigner sur l'intéressant travail de Boris Eldagen en visitant son site : https://www.eldagsen.com/pseudomnesia/ On pourra également regarder, sur Arte TV, le passionnant documentaire : IA et cinéma - la vie rêvée des machines, qui souligne bien la différence entre la capacité de l...