L'Instant Philo

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"L'instant philo" par Didier Guilliomet En une dizaine de minutes de quoi nourrir sa réflexion sur des questions traitées de façon accessible.

  1. OCT 6

    L'Instant Philo - L’imitation entre copie, identification et création

    « L’instant philo »                                                                                          Emission du 6 octobre 2024                                   L’imitation entre copie, identification et création I.                    Analyse générale A.      L’imitation est trop souvent mal jugée L’imitation n’est pas une capacité jugée habituellement très noble. Des imitateurs comme Laurent Gera ou Nicolas Canteloup peuvent, certes, être populaires mais ils n’occupent pas, comme humoristes, une place centrale dans nos sociétés. La figure du faussaire, cet escroc qui s’enrichit en faisant des plagiats d’œuvres célèbres a même contribué à la mauvaise réputation de l’imitation. D’autant qu’à moindre échelle, l’individu qui mime de façon appuyée le comportement, les opinions et les goûts d’un modèle qu’il idolâtre, est souvent moqué pour son manque de personnalité. Toutefois, en rester à cette approche plutôt dépréciative de l’imitation semble intenable. Depuis Platon et Aristote, la mimésis – terme grec qui correspond à l’imitation - est un sujet de réflexion nourrissant multiples débats. D’abord en art, où la ressemblance et la grande exactitude dans l’imitation ont été des critères souvent discutés dans l’appréciation des œuvres. Mais aussi en pédagogie, en psychologie morale et dans notre conception même du réel. Examiner les multiples facettes de l’imitation et avoir une approche attentive à sa complexité semble donc nécessaire, tant il est vrai que cette capacité que nous avons d’imiter recoupe, des aptitudes et des attitudes très différentes.   B.      Trois figures principales de la mimésis    On peut dégager, en effet, trois figures principales de l’imitation. Imiter, c’est d’abord copier et par conséquent reproduire un modèle avec la perfection duquel on sait ne pas pouvoir rivaliser. L’imitation peut aussi se présenter comme une identification ou une simulation exacte d’une réalité. Dans cette optique, la mimésis désire sortir de son infériorité supposée par rapport au modèle initial et tâche même de l’égaler, voire d’occuper sa place – ce qui n’est pas sans poser problème. Enfin, imiter peut signifier produire une réalité nouvelle. La mimésis n’est plus une reproduction imparfaite, ni une identification problématique mais une production. C’est ainsi qu’Aristote met l’accent sur la mimésis dans la tragédie et l’ensemble des créations littéraires. L’imitation sort alors d’un rapport d’infériorité, d’égalité et même de comparaison avec sa source première d’inspiration. Elle devient le creuset dans lequel se crée du nouveau.   II.                  L’imitation comme copie imparfaite A.      Copie et original Imiter, disions-nous, c’est d’abord copier de façon imparfaite une réalité. Un dicton rappelle qu’on préfère toujours l’original à la copie. Une duplication de fichier ou une photocopie d’un document, même à l’aide un système élaboré, suppose toujours, en effet, une perte de définition. Ce constat a beaucoup contribué à une dépréciation de l’imitation toujours par définition approximative. Ce constat permet aussi de rapprocher l’imitation de l’image – dont on fait souvent l’hypothèse qu’elles ont une étymologie commune visible dans leur préfixe. En effet, l’imitation/copie, comme c’est le cas pour l’image, a un rapport de ressemblance et de dissemblance avec ce qui est représenté. Pourquoi de dissemblance ? L’imitation reste différente de l’imité, sinon on ne pourrait pas les distinguer : ce serait la même chose ou encore un double. L’imitation comme l’image est donc toujours imparfaite par rapport

    15 min
  2. MAY 19

    L'Instant Philo - Religion, superstition et spiritualité

    Religion, superstition et spiritualité                                                                                     Emission du dimanche 19 mai 2024 Illustration tirée du film de Tarkovski : Andréi Roublev                                                                                                             L’instant philo     Religion, superstition et spiritualité                                     Emission du dimanche 19 mai 2024 Quand on parle de religion, on a tendance à partir de ses propres croyances et pratiques et de les ériger en modèle. Ainsi, définit-on souvent en Occident, la religion comme la croyance en un Dieu. On oublie alors que le monothéisme ne constitue qu’une des multiples manifestations du religieux. Le polythéisme, par exemple, n’est pas une croyance tombée en désuétude qui serait typique de l’antiquité grecque et romaine. L’hindouisme de nos jours est, en effet, fort de plus d’un milliards d’adeptes. Le même préjugé nous laisse déconcertés face aux religions où la notion de divinité est largement absente, à l’instar du bouddhisme ou de l’animisme. La perspective qu’on adopte souvent dans notre appréhension du religieux conduit à repousser les cultes différents du nôtre, soit du côté de la superstition, de l’hérésie ou de la naïveté supposée des anciens ou d’autres peuples, soit – et c’est plus positif - du côté, de la spiritualité comme c’est le cas pour le bouddhisme, le confucianisme ou le taoïsme. Notre jugement est faussé. Ensuite, une fois ce premier obstacle repéré, un autre se présente, peut-être encore plus redoutable. Car il n’est vraiment pas facile de trouver un dénominateur commun à toutes les pratiques religieuses déjà nommées, surtout si on ajoute le totémisme, l’énigmatique religion égyptienne, le chamanisme, les rites sacrificielles des Aztèques, le shintoïsme – et la liste n’est pas exhaustive. Peut-on vraiment trouver une définition de la religion qui puisse s’appliquer à toutes ces différentes croyances ? Et si c’est le cas, doit-on les considérer toutes à égalité ? Ou bien faut-il introduire des distinctions, voire une hiérarchie entre elles ? I. Des définitions peu satisfaisantes de la religion A. L’impasse de l’étymologie   Le terme « religion » viendrait  du verbe latin religare qui signifierait d’après Lactance, un théologien chrétien soucieux de prosélytisme, « relier », « rassembler ». Rassembler quoi ? Les hommes entre eux, pour les uns. Les hommes à Dieu pour d’autres. Parfois les deux. Toutefois, d’après le Gaffiot, dictionnaire de référence pour le latin, cette étymologie n’est pas fiable. Certains vont alors rapprocher religio du latin relegere – reprendre avec soin, traiter avec scrupule ou encore– ce qui vaut seulement pour les religions du livre - relire avec grande attention. Saint Augustin commente à plusieurs reprises ces deux étymologies[i], sans trancher car il ne porte pas une si grande attention à ces considérations. A raison car cette piste semble ne mener que là où on veut aller et elle ne permet pas de dégager une définition satisfaisante et globale du fait religieux.     B. La religion et le sacré    Présenter la religion comme une expérience du sacré à la manière de Mircéa Eliade, est peut-être plus éclairant ? Le sacré, réalité absolue et transcendante, censée être source de tout, est objet d’un respect qui commande habituellement attitude humble et silencieuse. Par opposition, le profane est tout ce qui est à notre modeste mesure et n’exige pas un comportement spécifique. Le sacré, parce qu’il nous échappe par définition et est mystérieux, est un

    15 min
  3. MAR 24

    L'Instant Philo - De quoi l’éco-anxiété est-elle le nom ?

    De quoi l’éco-anxiété est-elle le nom ?  Illustration : un dessin de Jérome Sirou que nous remercions chaleureusement.  « L’instant philo »                                                                             Emission du dimanche 24 mars 2024                               De quoi l’éco-anxiété est-elle le nom ? Une étude publiée en 2021, par The lancet, une revue médicale hebdomadaire britannique, indique que 59% des 10 000 jeunes de 16 à 25 ans issus de dix pays bien différents se disent très ou extrêmement préoccupés par le changement climatique. En France, la même année le baromètre Ademe indique que deux tiers des français estiment que les conditions de vie vont devenir extrêmement pénibles à cause des dérèglements climatiques[i]. Ces  indications statistiques témoignent d’une vraie inquiétude chez nos contemporains face à la question écologique. Le terme «’éco-anxiété » est présenté justement comme ce qui permet de désigner cet ensemble tout à fait inédit de sentiments et d’affects liés aux inquiétudes engendrées par la prise de conscience des graves menaces qui pèsent dorénavant sur notre planète. Ce néologisme vient de l’anglais – « eco-anxiety » qui a été recensé dès 1990 dans le Washington post.[ii] L’expression « éco-anxiété » ne devient vraiment très présente dans les médias en France qu’à partir de 2019 et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle a connu dès lors un vrai succès. Cette désignation soulève toutefois bien des interrogations. Se préoccuper des fortes perturbations qui affectent notre planète ne signifie pas automatiquement être éco-anxieux. Pourquoi mettre en avant la seule anxiété ? D’autres affects, vecteurs de réactions comportementales plus constructives, peuvent être présents dans la conscience de la situation actuelle, à l’instar de l’indignation ou du désir de s’engager. Avons-nous affaire, comme le soulignent bien des analyses, à une appellation qui tend finalement à réduire la question de l’urgence écologique à la psychologie, voire à un problème de santé mentale ? Parler d’éco-anxiété, ne serait-ce pas ainsi chercher à dépolitiser la question écologique en détournant l’attention des responsabilités qu’on peut établir dans la production de ces désastres ainsi que dans l’inaction qui aggrave les difficultés? Ou bien s’agit-il là d’une expression certes maladroite, qui tâche de rendre compte d’une importante épreuve existentielle qui serait le passage obligé pour devenir lucide face aux défis inédits et impressionnants de notre époque ? L’éco-anxiété ne serait-elle pas alors une étape à franchir pour pouvoir ensuite inventer des réponses politiques adaptées à la crise mondiale à laquelle nous avons affaire? Dans cette perspective, sera-t-elle un obstacle à contourner ou bien un tremplin pour aller plus loin ? En tout cas, la question se pose : de quoi l’éco-anxiété est-elle le nom ? I.             Analyse critique de la notion d’éco-anxiété   A.    Trois facteurs à prendre en considération pour analyser l’éco-anxiété Le mot composé « éco-anxiété » met en avant d’abord un état affectif et subjectif – l’anxiété - qui relève de l’analyse des émotions, de la psychologie morale, voire de la psychiatrie. C’est ainsi qu’en 2017, l'American Psychology Association a défini l’éco-anxiété comme “la peur chronique d'un désastre environnemental en cours ou futur”. L’éco-anxiété présente également un versant externe, objectif et très concret avec son préfixe « éco » - du grec oikos désignant la maison ou le foyer -  l’anxiété vient du fait que notre maison commune – la Terre – est gravement menacée par le changement clim

    18 min
  4. JAN 28

    L'Instant Philo - Violence et Histoire

    L’instant Philo                    Violence et histoire                 Emission du dimanche 28 janvier 2024  Illustration : photo de Robert Capa Introduction   Quand on ouvre un manuel d’histoire, on est souvent frappé par l’omniprésence de la violence. Est-ce un hasard si les livres des premiers historiens grecs décrivent des guerres : guerres médiques pour Hérodote[i] et guerre du Péloponnèse chez Thucydide ? Les conflits actuels qui sont en plus lourds de la menace d’un usage d’armes de destruction massive, semblent confirmer ce constat. Conflits meurtriers, guerres civiles, coups d’état,  révolutions, révoltes, jacqueries et manifestations souvent réprimées dans le sang semblent scander toutes les époques. Comme Macbeth dans la pièce éponyme de Shakespeare nous pourrions en conclure, de façon désabusée, que l’histoire est « un récit plein de bruit et de fureur raconté par un fou n’ayant aucun sens ». [ii] Au demeurant, Robert Muchembled dans son Histoire de la violence de la fin du moyen-âge à nos jours souligne qu’en Occident, il y a 100 fois moins de meurtres qu’il y a sept siècles. Et la possibilité qu’une guerre éclate entre pays européens occidentaux – Allemagne, France, Italie, Espagne, etc. – est devenue nulle depuis plus d’une cinquantaine d’années. Cet adoucissement des mœurs ne signifie pas que les violences qui persistent soient négligeables et moins graves comme le montrent les violences au sein des familles – principalement celles faites aux femmes et aux enfants. Dans une société pacifiée, elles attirent plus l’attention. C’est une bonne chose pour qu’on puisse lutter contre elles. Ensuite, les actes terroristes trouvent dans des sociétés grandement pacifiées, une puissance de résonnance médiatique peut-être disproportionnée. Les 25 000 victimes du terrorisme dont la plupart se trouvent hors d’Europe (Afghanistan, Irak, Pakistan, Syrie, Nigéria)  frappent fortement les esprits dans une situation de plus grande sécurité alors qu’au regard par exemple des 3,5 millions de décès liés à une surconsommation de sucre ou aux 7 millions de morts par an dus à la pollution de l’air, cela semble objectivement moins inquiétants. Ce type de comptabilité macabre auquel il est difficile d’échapper ne cherche évidemment pas à minimiser les horreurs du terrorisme. Elle montre que la violence est perçue plus par le prisme subjectif et collectif de la peur que par le caractère objectif des risques encourus.[iii] Notre rapport à la violence est donc loin d’être simple. Je n’ai pas la prétention d’en faire une analyse exhaustive et précise. Il y aurait fort à faire en ces temps où confusion managériale et politique, mondialisation néo-libérale et « hystérisation »  parfois ahurissante des débats médiatiques, brouillent souvent les pistes. Mon propos est d’arriver à prendre un peu  de recul et proposer quelques pistes : comment penser en général le rapport entre l’histoire humaine et cette violence qui finit d’ailleurs, compte tenu de la puissance de nos technologies, par affecter gravement les autres vivants et perturber toute la biosphère ?   I.             Définition de la violence entre humains La violence est d’abord pensée comme une relation entre humains. Elle désigne tout comportement dont le but est de soumettre une personne ou un groupe à sa volonté en recourant à la force. Pour André Comte-Sponville, la Violence est « L’usage immodéré de la force. Elle est parfois nécessaire – la modération n’est pas toujours possible. Jamais bonne. Toujours regrettable, pas toujours condamnable. Son contraire est la douceur – qu’on ne confondra pas avec la faiblesse qui est le contraire de la force. »[iv] Si la violence n’est jamais bonne, il faut sûrement s’efforcer de la limiter. Instruit par l’exempl

    17 min
  5. 11/19/2023

    L'Instant Philo - Responsabilité personnelle et liberté

    Responsabilité personnelle et liberté Illustration : Le jugement de Salomon par Nicolas Poussin  Responsabilité personnelle et liberté   La responsabilité tient une place importante dans nos appréciations morales. Elle est présente sous forme d’injonction : « Prenez vos responsabilités ! ». Et on considère que l’on est quelqu’un de bien quand on a un comportement responsable. A l’inverse, reprocher à quelqu’un d’être complètement irresponsable est une façon de lui signifier qu’il est au comble de l’immoralité. La responsabilité semble même avoir détrôné les catégoriques morales qui étaient traditionnellement dominantes. Vertu et de vice sont des désignations qui paraissent désuètes. Méchanceté et bonté semblent trop naïves. Ainsi préfère-t-on parler de personnes responsables plutôt que d’individus vertueux et des irresponsables plutôt que des méchants : cela sonne mieux aux oreilles de nos contemporains. A tort ou à raison, la responsabilité semble ainsi dorénavant désigner l’attitude morale par excellence.         Pourtant, ce ne fut pas toujours le cas. Est-ce un simple effet de mode ? L’explication semble un peu courte. N’est-ce pas plutôt un changement positif de la modernité qui met l’accent sur la liberté individuelle et la responsabilité personnelle qui est censée lui donner un cadre ? Mais la responsabilité n’est-elle pas aussi source de stress et de passions tristes qui piègent moralement l’individu plus qu’elle ne lui permet de s’épanouir ? En somme, que penser de cette catégorie qui a fini par s’imposer au quotidien dans notre discours moral ?   I.                    La responsabilité : analyse générale.   A.      Eléments de définition. 1)      Etymologie Au sens étymologie la responsabilité renvoie au verbe « respondere » : répondre en latin. Mais il ne s’agit pas tant de répondre à une question que de ses agissements. 2)      La responsabilité juridique Dans le domaine du droit, la responsabilité est, en effet, l’obligation de répondre de ses actions et de son comportement devant la justice et d’en assumer les conséquences civiles, administratives, pénales et disciplinaires. Le responsable au civil doit réparer les dommages. Au pénal, celui qui est tenu responsable et donc reconnu coupable, doit être puni pour les délits et les crimes qui lui sont imputés par un tribunal. En somme, la responsabilité juridique est évoquée quand il s’est passé quelque chose de fâcheux : dommages matériels, délits ou crimes. Quand tout va bien, on ne cherche pas habituellement des responsables. La responsabilité en droit pénal est dès lors l’étape qui précède culpabilité et condamnation. En droit civil, celle qui conduit à être tenu de verser des indemnités. La responsabilité juridique fait peser au-dessus de nos têtes l’épée de Damoclès des indemnités ou du châtiment.    3)      Responsabilité morale L’idée d’un événement mauvais à prendre en compte est présente dans la transportation de la catégorie juridique dans le domaine de la société civile et de la morale privée : la promotion de  la responsabilité au dix-neuvième siècle, souligne François Ewald,[i] va avec tout le développement dans l’idéologie libérale, des assurances dont les taux reposent sur le calcul des risques possibles. Être responsable, en ce sens, c’est pouvoir répondre de ce qui peut ne pas aller dans ses actions et ses conséquences prévisibles et ainsi garantir une bonne gestion de ses comportements pour que rien de fâcheux n’arrive. Reste qu’en droit comme en morale, on ne peut décemment faire valoir la responsabilité d’une personne qui a agi sans avoir conscience de ce qu’elle faisait. Une expertise psychiatrique peut ainsi conduire à déresponsabiliser l’auteur d’un délit ou d’un crime. Un enfant

    15 min
  6. 09/24/2023

    L'Instant Philo - Les vacances : un temps de liberté ?

    Les Vacances L’instant Philo                                                                                          Dimanche 24 septembre 2023                               « Les vacances : un temps de liberté ? »            Par Marie-Charlotte Tessier et Didier Guilliomet Une amie qui se reconnaîtra me faisait cet été cette confidence « D'habitude, je culpabilise un peu de ne rien faire en vacances, mais cette année je m'y suis vraiment autorisée.» Ecartons tout jugement moral et demandons-nous pourquoi il est parfois si difficile de ne rien faire pour simplement se reposer ? Littéralement se re-poser ? Avec « la quille » tant attendue, ce moment où l'on est libéré des obligations et des emplois du temps contraints, vient le vertige du vide des « vacances » : « comment, à quoi, de quoi vais-je m'occuper ? ». D'un côté, si la question se transforme en « de quoi dois-je m'occuper ? », ce ne sont plus vraiment des vacances. D'un autre côté, le temps libre est un précieux trésor dont on ne sait pas bien comment jouir : faut-il le protéger jalousement ? Le partager généreusement ? Mais alors avec qui ? Pour celles et ceux qui échappent à l'économie de la rareté, le problème revient sous d'autres traits : « qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de tout ce temps ? Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de moi ? » De fait, aussi pénible soit-il, le carcan des obligations constitue une solide armure contre l'angoisse. Une fois le temps libéré, nous ne sommes pas toujours prêts à accueillir la liberté et nous nous empressons de lui dresser un programme : tour de France des amis ou de la famille, défi sportif, grands travaux, festivals, expositions… La frénésie du voyageur parti à la découverte pour certains, le rattrapage du temps passé et déjà la préparation de la rentrée pour d'autres… Que d'agitation ! Derrière le teint hâlé, on devine parfois un peu de lassitude, de dégoût même des excès de viande grillée et de rosé, du trop-plein d'une boulimie culturelle et de ces spectacles trop vite digérés et de toutes ces photos postées ad nauseam sur les réseaux sociaux. Bien entendu, personne n'ose vraiment le dire franchement. Il faut penser à tous ceux à qui ne partent pas en vacances et bien se rendre compte de la chance qu'on a. Avouer qu'on s'ennuie aujourd'hui, est-ce simplement possible ? Les sollicitations sont partout, les notifications nous accompagnent jusque dans nos draps et nos campagnes.                                                                                                                     Rien de neuf sous le soleil, me direz-vous ; Pascal (1623-1662) livrait déjà ce constat dans ses Pensées1« Tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » Je ne puis pour ma part adopter un ton aussi sentencieux et entonner le psaume « Vanité, vanité, tout n'est que vanité ». Se haïr soi-même et n'aimer que Dieu n'est pas un programme que je puisse suivre. Selon Pascal, nous nous divertirions au lieu de nous reposer pour éviter de contempler la vanité de notre condition. « L’ennui » écrit-il « ne laisserait pas de sortir du fond du cœur, où il a des racines naturelles, et de remplir l’esprit de son venin. » Or mon hypothèse est sensiblement différente : c'est la peur d'agir et non celle du vide que traduit l'agitation. Dans nos vies dites « actives », il y a souvent plus d'agitation que d'action. L'agitation est un déplacement incessant qui ne produit aucune transformation significative du monde. A la différence de l'action dont on attend

    17 min
  7. 05/14/2023

    L'Instant Philo : La Solitude

    Par Younés Bouchoukh, étudiant de ECG1 du lycée François 1er avec la collaboration de Didier Guilliomet Dans l'opinion commune, la solitude est une situation considérée comme déprimante, voire dégradante. Les grecs anciens, par exemple, considéraient l’ostracisme – le fait de chasser un citoyen de sa cité et donc de le séparer de sa communauté, comme une punition très sévère. Encore maintenant, ostraciser une personne – c’est-à-dire l’isoler volontairement dans une société – est vécue comme une action agressive moralement et psychologiquement. Une chose est certaine, le sentiment plus ou moins accablant qui découle du fait d’être coupé de sa communauté,  peut nous perturber profondément dans nos relations avec autrui. Elle peut nous conduire à mal interpréter les regards, paroles et comportements des autres. Bref le sentiment de solitude s’accompagne souvent d’une sorte de paranoïa. Cercle vicieux car en devenant méfiant, on s’éloigne des autres de plus en plus, et on renforce ce sentiment de solitude. De fait, se sentir seul provoque souvent une situation désagréable de blocage existentiel. Ne pas pouvoir s’en remettre et se confier à autrui et affronter les difficultés de la vie, seul, au quotidien, est chose difficile. Aristote soulignait que l’homme est un animal social. L’insertion dans le collectif a toujours été une constante de l’humanité. C’est, d’ailleurs, un des paradoxes de notre monde, qui est de plus en plus connecté, qu’une quantité non négligeable de personnes déclarent se sentir seules. Aux États-Unis, le Loneliness Index révèle que 58% de la population s’est sentie seule en 2021. La sociologue Irène Théry, constatant le nombre croissant de personnes qui vivent seules au sein de nos sociétés où l’on valorise la liberté individuelle et la vie privée, écrit dans son livre Le démariage: « vie privée, oui … mais de quoi ? » La question reste posée. On le voit, la solitude est souvent vue négativement.  Mais est-il exact de dire qu’elle est une réalité forcément mauvaise ? L’enjeu de cette émission sera justement de présenter la solitude sous ses différentes facettes et d’essayer de saisir, sans en rester aux idées reçues, ce qu’elle est vraiment.                                                                                                        Solitude et sentiment de solitude Pour avancer dans notre analyse, faire la distinction entre la solitude et le sentiment de solitude, toujours plus ou moins accablant et dépressif, est indispensable.La solitude est en effet, une situation qui possède des aspects clairement bénéfiques. En effet, elle peut constituer une bonne occasion de se retrouver avec soi-même, voire de se trouver tout court. Se déconnecter des autres, prendre du temps pour soi peut-être aussi dans certaines circonstances un remède pour se reconstruire, pour reprendre confiance en soi en se confrontant à soi-même. La solitude est nécessaire pour retrouver la tranquillité dans l’intimité. Les prisons surchargées ajoutent la terrible épreuve de la promiscuité à la privation de liberté de mouvement pour les condamnés qui se retrouvent à plusieurs dans une même cellule. Disons-le : parfois on est très entouré mais on se sent mal, la présence des autres nous pèse : on ne rêve alors que d’une chose : se retirer, seul avec soi-même pour arriver à une paix intérieure. Le sentiment de solitude n’est donc pas nécessairement le fait d’être physiquement séparé des autres. C’est plutôt une expérience subjective plus ou moins négative, où l’individu se sent « mal dans sa peau », comme en un pays étranger et hostile où il n’a pas sa place, même quand il est entouré d’autres personnes qui lui sont familières, que ce soit sa famille, ses amis, ses collègues. On parle

    16 min

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"L'instant philo" par Didier Guilliomet En une dizaine de minutes de quoi nourrir sa réflexion sur des questions traitées de façon accessible.

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