Sobriété et ivresse L’instant philo du dimanche 12.01.25 par Marie-Charlotte Tessier Quelques définitions Du latin sobrius, la sobriété s'oppose d’abord à l'ébriété qui désigne l'état de celui qui a bu trop d'alcool, qui littéralement a abusé du breuvage, qui en est rassasié, saturé, bourré. Par extension la sobriété s'applique à d'autres domaines que la boisson pour désigner le refus de l'excès, la modération, l'équilibre. En esthétique, la sobriété est l'autre nom du classicisme, une valeur sûre à l'abri des extravagances des modes passagères. On louera par exemple la sobriété d'un discours ou d'une architecture qui privilégie la clarté des lignes et la simplicité de la composition aux ornements superflus, effets de style et autres manières. Un discours sobre se tient à bonne distance de son sujet et de son destinataire. Il ne cherche ni faire à la démonstration de son érudition, ni à être exhaustif. Il s’en tient à ce que peut être entendu, en suivant son fil avec intelligence sans s’égarer en route en digressions inutiles. A l’inverse, un discours auquel on reproche d’être amphigourique rappelle celui d'un homme pris de boisson : confus, embrouillé, obscur, alambiqué. Dans un autre contexte, celui de l’économie et de l’écologie, le sobriété désigne un style de vie, une ligne de conduite. Elle est pour certains la voie à suivre pour assurer la santé de nos sociétés si l’on veut s’éviter une abstinence brutale, forcée et injuste. Le manuel Ecologies. Le vivant et le social1 dresse un état des lieux des travaux en sciences sociales qui ont pris actedes multiples crises écologiques. Barbara Nicoloso de l’association Virage Energie parle « d’état d’ébriété énergétique permanent »2 pour décrire l’économie des sociétés occidentales depuis la fin du XIXe siècle. « Elles ont besoin de leurs doses journalières de pétrole, de gaz, de charbon, d’uranium, de sable, de lithium... » Charge à nous de les désintoxiquer en interrogeant collectivement et non seulement individuellement les besoins humains que nous estimons nécessaires de satisfaire en tenant compte à la fois des limites des ressources, de celles du vivant mais aussi des inégalités sociales qui sont en jeu puisque le niveau de consommation de ressources naturelles d’un individu est généralement corrélé à son niveau de revenus.3 Liberté, égalité, sobriété : cette dernière n’impose pas nécessairement de renoncer à la prospérité mais de réviser nos indicateurs d’évaluation des richesses et de rééquilibrer l’accès aux ressources en réduisant les consommations excessives de quelques-uns au profit d’une répartition plus juste entre tous. Ivresse et excès Envisageons maintenant la sobriété en son sens premier. A distinguer de l’abstinence, renoncement total à la consommation, la sobriété se garde des excès sans s’interdire de goûter à la boisson, avec modération, sans en abuser. L’étymologie est d’ailleurs sujette à discussion, le préfixe « se » pouvant être rattaché au datif du pronom personnel « se , sibi » insistant davantage sur l’idée de maîtrise de soi plutôt que sur celle de privation. La sobriété opère alors comme catégorie d’un discours moral ou bien médical à l’instar du régime, de la diététique ou du jeûn. Du point de vue moral, l’ébriété fait l’objet d’une condamnation quasi-unanime. En France, l’ivresse est interdite sur la voie publique. Cet état d'excitation plus ou mois euphorique s’accompagne de troubles de plusieurs fonctions, principalement la vue, l’équilibre, l’élocution et la mémoire. Dans l’imaginaire commun, l’ivresse s’incarne dans une silhouette titubante, au bord du déséquilibre, le doigt en l’air, adressant à qui saura les entendre des propos décousus. Certains ont le vin mauvais et peuvent se montrer agressifs. Sans en arriver là, cette perte de contrôle entraîne bien souvent une mise en danger dont l’issue peut malheureusement être funeste. Spectaculaires, les effets de l’alcool sur les corps en font un excellentsujet pour lapeinture. Au XVIIe siècle,