Improvisations (le podcast)

Aldor
Improvisations (le podcast) Podcast

Courts propos improvisés et quotidiens, A propos de tout et de rien.

  1. 2 DAYS AGO

    Énergie

    Danse sur l’hymne à Apollon de Pindare (c) Compagnie Démodocos et Atelier Chœur et théâtre antiques de Sorbonne Université, 20 septembre 2024 Quand il est en bonne santé, un être humain peut développer, sur la durée d’une journée de travail, une puissance continue de 100 watts (Beaucoup plus pour les athlètes, mais sur une durée plus courte). En s’aidant de la force des animaux, du vent, des rivières et de la chaleur du soleil, il peut disposer d’une puissance de 500 watts, et c’est avec elle que, jusqu’à la révolution industrielle, il se débrouilla, qu’il bâtit les pyramides et le château de Versailles, que Shakespeare composa ses pièces et Pindare ses odes. L’utilisation des énergies fossiles change les choses du tout au tout : avec elles,  la puissance disponible explose, ce qui permet de développer des usages extrêmement énergivores : un grille-pain consomme 1 500 watts, chaque voyageur de TGV une puissance de 12 000 watts, chaque passager d’un avion volant à 900 km/h une puissance de 300 000 watts (la force cumulée de 3 000 humains). A Normale Sup, ce vendredi soir, on jouait et parlait énergie. Plein de manifestations dont je n’ai vu que deux : une ode de Pindare dansée et scandée, et Raphaël Ménard présentant l’histoire de l’énergie, les énergies légères et l’immense changement apporté par les énergies fossiles. La confrontation des deux prestations était saisissante : l’explosion de la puissance disponible à partir du XVIIIe siècle permet des réalisations qui, jusqu’alors, auraient paru impossibles. Mais elle n’est pas un préalable à la capacité créative de l’être humain, non plus d’ailleurs qu’à la force créatrice de la vie, toutes deux la précédant et la rendant possible. Pas besoin de pétrole, d’uranium ou d’éoliennes pour que naissent des baleines, croissent des séquoias et dansent des jeunes filles et des jeunes gens sur des strophes de Pindare. Peut-être ce que j’écris ici est-il une évidence mais ce qui m’a frappé à la juxtaposition des deux événements, c’est qu’aussi gigantesques qu’aient été les progrès techniques permis par la croissance de la consommation énergétique, les fondamentaux, comme l’expansion des humains sur le globe ou leur  capacité à imaginer, à rêver, à créer des mythes et des œuvres, des danses et des odes, étaient là avant et ne dépendent pas de la consommation énergétique du système. Notre capacité à voguer vers les étoiles est liée à notre consommation énergétique, mais non notre capacité à l’imaginer, qui préexiste. Il y a dans cette déconnexion quelque chose qui sans forcément violer les lois de la thermodynamique et de conservation de la matière, apporte du trouble : les êtres vivants sont ces créatures en qui s’opère la transmutation de la matière en énergie, de l’énergie en la matière, et de l’une et de l’autre en idées. Et cette capacité créatrice est illimitée, indépendante des ressources effectivement disponibles. Cette immensité de l’imaginaire nous voile les limites écologiques de notre monde. Du côté des puissances produites, un moteur de voiture thermique, c’est aux alentours de 100 000 watts, une grande éolienne marine, c’est 15 000 000 watts, un réacteur EPR, c’est 1 600 000 000 watts (la force cumulée de 16 millions d’êtres humains). La véritable limite n’est pas le caractèr...

    4 min
  2. 17 SEPT

    La ligne du parti

    C’est amusant (enfin : “amusant” est-il le bon mot ? Je ne pense pas ; “curieux” et peut-être aussi “rassurant” seraient probablement plus appropriés) ; c’est amusant, ou plutôt donc curieux et finalement rassurant comme, à vouloir absolument montrer l’unité et la convergence d’une équipe, sa bonne humeur et son dynamisme, à forcer, pour cela, la dose et les effets, on arrive assez ordinairement au résultat contraire : susciter la gêne, le malaise, voire le doute, là où il n’y avait peut-être, probablement, au fond, aucune raison de douter. Mais on a tellement surjoué, on s’est tellement tenu sur ses gardes de peur de commettre un impair, on a tellement appris son laïus par coeur, se reprenant lorsque on oubliait un mot sans importance, on a tellement affiché un sourire béat en écoutant les autres comme si c’était la vérité qui sortait de leur bouche tel un miel aux saveurs suaves, on a tellement ri avec fausseté (ou, pire encore, avec sincérité et servilité) aux bons mots du chef qui est tellement, tellement spirituel, on a tellement dit et répété qu’on était content, vraiment et sans mentir, content d’être là, tous ensemble, quand notre corps et toute notre attitude hurlaient exactement le contraire, et avec une telle force qu’on avait mal pour eux ; on a tellement donné le sentiment de réciter, ânonner et jouer un rôle, un rôle qui nous avait été imposé, qu’on se serait cru dans cette case de Tintin chez les Soviets où, sous la menace des revolvers braqués par la Guépéou locale, les villageois, baissant la tête, se résignent à élire la liste du parti. Sur le fond, pourtant, encore une fois, il n’y avait probablement aucun problème, aucun désaccord, aucune dissension. Seulement la peur de la fausse note, la crainte de l’incident, la hantise du bug, peut-être, qui a transformé ce qui avait certainement été conçu comme un moment sympathique de partage, l’annonce collectivement assumée d’une nouvelle stratégie, ou d’une stratégie un peu redéfinie, en une cérémonie pesante et empesée, le contraire absolu du spontané. Ce qui est bizarre, c’est que les personnes en position d’autorité paraissent ne pas se rendre compte que rien ne sonne plus faux que ces tableaux vivants où le chef se met en scène avec ses lieutenants, où ceux-ci parlent sous la surveillance de celui-là, et où l’on a l’impression qu’à la moindre incartade, au moindre propos qui ne serait pas de dévotion, ledit chef se muera soudain en reine de coeur réclamant : “Qu’on lui coupe la tête !” ou en Clovis rejouant l’histoire du vase de Soissons.  Ce qui est bizarre, c’est que, à vouloir à tout prix montrer que la décision est collective, partagée, voulue par toutes et tous, on arrive seulement à donner le sentiment contraire, à susciter l’impression d’un chef autocratique décidant seul de la ligne du parti.

    4 min
  3. 11 SEPT

    Trop beau

    Final du feu d’artifice parisien du 14 juillet 2022 C’est un paradoxe dont chacun d’entre nous fait chaque jour l’expérience : le suffisant ne suffit pas, le suffisant est insuffisant. Il est, toujours et irrémédiablement, incapable non seulement de nous combler mais encore nous donner le sentiment de satiété sans lequel demeure l’impression de manque. Pour que cela suffise, pour que cela suffise vraiment, pour que nous soyons pas étreints, écrasés, aliénés par la crainte du trop peu, il faut du débordement, du superflu, du trop-plein, comme dans cette expression qu’on considère parfois comme enfantine mais qui révèle une vérité profonde (et ne dit-on pas que la vérité sort de la bouche des enfants ?), cette expression au gré de laquelle n’est vraiment beau, bon ou mignon que ce qui est trop beau, trop bon ou trop mignon. Il suffit d’assister à un festival comme celui d’Avignon, à une cérémonie comme celles dont les Jeux olympiques ont été l’occasion, à une grande fête foraine ou tout simplement de passer quelque temps dans une librairie, une bibliothèque, un musée, une boutique de bricolage ou un grand magasin de vêtements pour comprendre que le plaisir qu’on y ressent vient moins de ce qu’on peut s’y procurer, des spectacles auxquels on y peut assister, des beautés et connaissances que nous pouvons y approcher que du sentiment de plénitude que nous procure le trop-plein, la certitude que jamais nous ne parviendrons à tout capter, à tout voir, à tout assimiler, tout posséder, tout avoir. C’est de ne pouvoir tout étreindre ni tout embrasser que nous jouissons vraiment comme dans ces finals de feux d’artifice où nous nous pâmons plus encore de ne savoir où donner de la tête que des merveilles vraiment entraperçues, de la saturation des sens plus encore que de leur satisfaction. Il y a là quelque chose de très étrange, de très contre-intuitif, et finalement de très beau et rassurant : on pourrait penser que notre amour du trop et du superflu est une sorte d’avidité dom-juanesque, un désir insatiable et vaniteux de tout posséder et tout connaître, alors qu’il est essentiellement, me semble-t-il, le presque contraire : il est le plaisir apaisant qu’on éprouve à toucher du doigt, de l’intelligence et des sens le caractère inaccessible, inépuisable, immense et innombrable du monde et des choses, et la conscience, face à cela, la conscience et l’acceptation de notre finitude.

    4 min
  4. 31 AUG

    Syneisaktisme

    Devant l’église Saint-Vétérin de Gennes Les voyages forment la jeunesse, la vieillesse aussi probablement ; et ils enrichissent le vocabulaire. C’est ainsi que bouclant un tour à vélo entre Paris, Angers, Orléans et Paris, j’ai découvert, à Fontevraud, entre mille merveilles croisées sur mon joli chemin (Ô splendeur de l’anémone du Japon !), le mot syneisaktisme, qu’on emploie essentiellement, en français, à propos de Robert d’Arbrissel, le fondateur de cette abbaye. Le syneisaktisme, c’est l’ascèse consistant, pour un homme hétérosexuel (mais c’est aisément transposable aussi bien aux femmes hétérosexuelles qu’aux hommes et femmes homosexuelles), à passer volontairement la nuit avec une ou des femmes désirables en s’abstenant volontairement de toute relation sexuelle. Il s’agit non pas de rechercher la douceur qu’il y a à dormir avec qui l’on aime mais de se mortifier en ne cédant pas à une tentation qu’on a soi-même créée. Le lendemain de ma visite de Fontevraud, je suis allé au Clos Lucé, à Amboise, où sont exposées nombre des inventions de Léonard de Vinci, qui y a vécu et y est mort. Mais aussi grand (et il l’est !) soit le génie de Léonard, comment pourrait-il rivaliser avec celui, pervers et tordu, de l’inventeur du concept de syneisaktisme, et même avec celui de tous ceux qui, au cours des siècles, ont pu valoriser ce genre de comportement, considérer qu’il y avait quelque espèce de bien à en tirer ? On perçoit, à la lumière de cet exemple, le lien qui a pu être établi entre le malin et la malignité, l’intelligence et le Mal. Pauvres créatures que nous sommes, tombant si facilement dans les pièges de l’esprit ! Déjà, lors de ma descente vers la Loire, je m’étais un moment arrêté à Illiers-Combray. Et j’avais alors songé à ces paroles du narrateur, qui ne sont pas sans rapport avec ce qui précède, mais qui se contentent, avec vérité et tristesse, de dresser le constat de nos contradictions : “S’il peut quelquefois suffire pour que nous aimions une femme qu’elle nous regarde avec mépris comme j’avais cru qu’avait fait Mademoiselle Swann et que nous pensions qu’elle ne pourra jamais nous appartenir, quelquefois aussi il peut suffire qu’elle nous regarde avec bonté comme faisait Madame de Guermantes et que nous pensions qu’elle pourra nous appartenir.” Pour la délicatesse de cette pensée, combien je préfère Marcel Proust à Robert d’Arbrissel !

    4 min
  5. 3 AUG

    L’énergie qui se renouvelle

    La sphère porte-flamme olympique des Tuileries À l’occasion des Jeux olympiques de Paris dont elle est (il ou elle ? c’est toujours un sujet de discussion avec Olivier. Quant à moi je préfère elle) un des grands sponsors, EDF a réalisé un très joli et très efficace petit film sur le sport et les énergies renouvelables, thématique qui a du sens pour elle puisque cette entreprise est également un des grands acteurs de la filière EnR. En une minute trente, ce petit bijou nous fait ressentir la vague d’émotion qui emporte et anime les athlètes au jour et à l’heure de se lancer dans l’arène, de jouer leur va-tout dans l’épreuve ultime. C’est très beau. On est saisi par les images, l’ambiance, la musique, le rythme, la voix, la voix de Pauline Ziadé qui, d’abord calme et posée, monte et accélère jusqu’à la pâmoison, jusqu’à l’extase finale : Thérèse faisant l’expérience de la transverbération (ou quelque chose de moins mystique mais de tout aussi bouleversant). L’énergie qui se renouvelle. La force de travail qui se reproduit, disait plutôt Marx. Ce moment où le corps exulte, chantait Brel. C’est amusant comme, même simple spectateur, même quand on est seulement là à regarder un écran dans une fan zone, on se prend au jeu, on vibre et palpite aux exploits des athlètes, on sent en nous l’excitation monter ; et comme on aime, à ces moments, être dans la foule : se perdre, se dissoudre, s’anéantir en plus vaste que soi, comme Thérèse s’anéantit en Dieu et nous autres en l’autre. L’énergie de la communion, ce plaisir de la tension qui, longtemps contenue, longtemps compressée, se libère et éclate, se répand autour de nous et nous laisse, pantois, sur la grève, quand la vague est passée. Mais, dans le reflux qui suit la trainée de l’écume, quand se réveille en nous l’animal triste, que la raison reprend ses marques et que le corps se tait, quelque chose apparaît dans la conscience renaissante qui vient jeter une ombre sur la joie : le souvenir de ces “offices de solidarité” imaginés par Aldous Huxley, au cours desquels les peuples du Meilleur des mondes, scindés en castes qui ordinairement se méprisent, tentent de revivifier, de refonder le collectif et le commun par des chants et des danses, des transes haletées visant à ressouder, dans l’orgie, le lien social autrement si ténu. “Orginet-Porginet”. Ce chant aussi, alors, revient du fond de ma mémoire comme un avertissement, une invitation à ne pas se laisser complètement absorber. On pourra également voir le film dont je parle ici au Pavillon EDF, sur les Champs-Elysées.

    4 min
  6. 22 JUL

    Politique

    Affiches sur les murs d’Avignon Grâce à Béatrice, j’ai passé deux journées entières, et même un peu plus, au festival d’Avignon. Ce qui est à la fois très peu et beaucoup. Et pendant ces deux jours, loin des jeux de rôles et de pouvoirs qui prenaient place et étalage sur la grande scène parisienne, j’ai vu, vécu, mangé et bu du théâtre, du vrai, du théâtre jour  et  nuit, sans discontinuer. Rien de plus politique, de plus intimement et intelligemment politique, je le sais bien, que l’organisation et la tenue d’un festival comme celui d’Avignon qui requiert, y compris le festival Off, de considérables moyens, un engagement très important des pouvoirs publics, des choix budgétaires suivis pendant des années, la mobilisation, l’acceptation et la patience des agents municipaux, des services et de tous les habitants. Rien de plus politique, non plus, de plus profondément et radicalement politique que ce qui se montrait, se transmettait, bouillonnait au travers des spectacles donnés, de la prodigieuse inventivité et diversité des spectacles donnés, sauf que cette politique-ci, cette politique du corps et de l’émotion, de l’amour et du mensonge, de la vérité, de l’ambition, du subi et de l’irrépressible, cette politique-ci n’avait rien à voir avec celle qui se jouait, au même moment, sur les hauts tréteaux de la Capitale. Ce qui se jouait, à Avignon, c’était la vie : les hommes, les femmes, les femmes et les hommes, le pouvoir, le plaisir, la peine, la mort, la pudeur, la délicatesse, la nostalgie, la trahison, la mauvaise foi, la séduction, l’indifférence, le mépris, l’aveuglement, le désir et la brutalité, la tendresse et la servitude. Ce qui se jouait, à Avignon, ce sont ces élans, ces tensions, ces liens, ces élasticités, ces transparences et ces opacités, ces relations au premier chef, ces relations toujours changeantes, inattendues, contrariées, qui font de notre vie, de notre vie avec nos semblables cette chose si extraordinaire, brutale parfois, douce souvent, une succession ininterrompue de surprises, de double-fond, de portes et de pistes qui se dévoilent et qui se ferment, et vis-à-vis desquelles il faut inventer, réinventer sans cesse. Il y a un abîme entre ce qui était représenté à Avignon : des variations sur l’amour, la mort, le désir, l’espoir, la violence, les corps et la sensibilité, les corps, surtout, dans leur force, leur fragilité, leurs esquisses, leurs retenues, et la projection qui en était donnée sur la scène politique, où tout devient plus grossier, plus rigide, plus mécanique, plus vain. Il est normal et sain que la projection sociale, et donc politique, des affaires humaines, diffère de la vision intimiste qu’en donne le théâtre : on ne mène pas la cité avec le coeur, la beauté, les émotions. Mais le hiatus, là, est si grand, entre la condition humaine mise en scène dans sa splendeur et ses affres, et ces querelles, ces querelles et ces jeux de pouvoirs. Comme si la politique était tout simplement à côté de ce qui est important.

    4 min

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Courts propos improvisés et quotidiens, A propos de tout et de rien.

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