Altruisme, société, environnement… entretiens avec Matthieu Ricard (France 2 et Éditions Jourdan)
Aurélie Godefroy, journaliste à l’émission Présences bouddhistes sur France 2[1], a reçu Matthieu Ricard pour des entretiens passionnants avec, en toile de fond, l’ouvrage du moine et photographe Un demi-siècle dans l’Himalaya publié aux Éditions de La Martinière. Un superbe ouvrage dont voici la présentation : Pendant un demi-siècle, Matthieu Ricard a photographié ses maîtres spirituels et le monde fascinant qui les entourent – l’intimité des monastères et la majesté des sommets himalayens du Népal, l’immensité des hauts plateaux tibétains et la nature sauvage du royaume du Bhoutan. Il a partagé la vie des moines, des paysans et des nomades et s’est consacré à plus de deux cents projets humanitaires. Cette somme photographique de 350 images, accompagnée de textes dans lesquels il retrace son parcours personnel, est un hommage éclatant à la sagesse, la compassion et à l’Himalaya. Un témoignage qui est aussi l’œuvre d’une vie. C’est autour de toute cette oeuvre qu’Aurélie Godefroy articula ses deux émissions dans un dialogue, dont on ne peut que sortir enrichi. Par ailleurs, dans son ouvrage Rencontres fraternelles avec Matthieu Ricard et le Dalaï-Lama publié aux Éditions Jourdan, Pierre Guelff, auteur et chroniqueur à Fréquence Terre, a principalement mis en évidence les éventuelles similitudes symboliques entre le Bouddhisme et la Franc-Maçonnerie, deux philosophies non dogmatiques, et il y aborde le thème, ô combien d’actualité, de la violence dans la société et des remèdes à y apporter. Matthieu Ricard, dans un entretien exclusif, lui donna son avis plein de sagesse. Bien entendu, cet avis éclairé fait partie des chapitres de ce livre aux côtés de ceux du Dalaï-Lama, entre autres. Voici des extraits significatifs des propos tenus par Matthieu Ricard à Pierre Guelff : * Feu mon père François Revel disait que le terme « humanisme » avait été mis à toutes les sauces. Il y a donc un humanisme restreint qui veut dire « nous sommes les champions de la création » et l’humanisme étendu qui est une dictature qui prône la suprématie totale de l’être humain et que tout le reste – 8 millions d’espèces ! – est à sa disposition. Alors, là, je n’y souscris pas du tout ! – Où puisez-vous votre force d’action ? – Si je regarde mes quarante-cinq dernières années, j’ai passé cinq ans en solitaire dans des ermitages divers, au Darjiling (Inde), au Népal…, et je ne reste jamais plus d’une heure de plus qu’il ne faut dans une ville. Je suis une personne de la nature, de la campagne, de la montagne. Tout ce qui me convient, c’est d’être assis sur le balcon de mon ermitage face à l’Himalaya, de me promener dans une forêt, de passer du temps avec mes proches. Finalement, je me concentre au maximum dans des moments assez restreints et, alors, je suis prêt à travailler du matin au soir pour, justement, ne plus en entendre parler… (rires) – Quel regard d’ensemble jetez-vous sur la Société qui monte de plus en plus en violence, selon moi, comme le démontrent les attentats aux quatre coins du monde ? – Je vous réponds que, non seulement la Société ne monte pas de plus en plus en violence, mais que cette dernière n’a cessé de diminuer depuis cinq siècles de façon spectaculaire et que c’est quand même curieux qu’on ne prenne pas acte de ce fait. En Europe, en 1350, vous aviez environ cent homicides par an pour 100 000 habitants. Cela a été étudié à Oxford et, aujourd’hui, c’est 0,6. Le risque que vous avez d’être tué aujourd’hui en Europe est cent fois moindre qu’il y a cinq siècles. La violence domestique, par exemple, selon une autre étude, a diminué de moitié vis-à-vis des enfants en vingt ans aux États-Unis, le nombre de victimes moyen par conflit dans le monde, selon deux banques de données (en Suède, à Uppsala, et aux USA) est passé de 30 000 en 1950 à 1 500 à ce jour. Certes, il y a Daesh, le Soudan,